Alors que le monde n’a pas encore totalement intégré la réalité – et les conséquences – du rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran orchestré par la Chine, un autre bouleversement est en préparation dans la région. Cette fois, ce sont les Russes qui sont à la manœuvre. Le ministre des Affaires étrangères saoudien, Faisal Bin Farhan a atterri à Damas la semaine dernière pour y rencontrer le président syrien Bashar al-Assad. Sa visite faisait suite à celle du ministre syrien des Affaires étrangères Faisal Mikdad, qui s’est rendu le mois dernier à Riyad.
Les deux pays avaient coupé leurs relations diplomatiques depuis 2012, au début de la guerre civile en Syrie, alors que l’Arabie saoudite avait mis son poids dans la balance en finançant les insurgés dans l’espoir de renverser Assad. Le volte-face diplomatique de l’Arabie saoudite est à comprendre dans le contexte d’une nouvelle définition de sa politique étrangère, qui s’est traduite dans l’accord historique signé avec l’Iran. Cette nouvelle approche cherche la stabilité régionale en résolvant les conflits plutôt que par des stratégies militaires d’endiguement.
Comme l’a commenté le ministre saoudien à Damas : « l’objectif des Saoudiens est de trouver une solution politique à la crise syrienne qui mettrait un terme à ses contre-coups dans la région et qui, en préservant l’unité, la sécurité, la stabilité et l’identité arabe de la Syrie lui permettrait d’être réintégrée dans son environnement arabe. »
Cette avancée diplomatique gigantesque entre Riyad et Damas est la conséquence de l’influence grandissante de la Russie dans les affaires du Moyen-Orient et constitue le dernier des signaux les plus visibles de la perte d’ascendance des États-Unis dans la région, où son empreinte militaire et diplomatique a décliné régulièrement au cours des dernières années.
La Russie bénéficie de liens de longue date avec le gouvernement syrien. En 2015, son intervention dans la guerre civile a permis de sauver le gouvernement d’Assad, lui permettant de regagner l’initiative contre une opposition soutenue par les États-Unis et les Saoudiens. Sa relation avec l’Arabie saoudite, à l’opposé, était plus complexe, dans la mesure où les saoudiens restaient alignés sur les objectifs états-uniens en matière de sécurité nationale et étrangère au Moyen-Orient et de politique énergétique globale. Mais cette dynamique a changé en octobre 2018, lorsque des agents saoudiens, dont il est dit qu’ils travaillait sous les ordres directs du prince de la couronne Mohammed Ben Salmane, ont assassiné le journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi.
Alors que la ville syrienne de Jablé publiait sur les réseaux sociaux un appel de détresse demandant au plus grand nombre de jeunes volontaires de rejoindre au plus vite le cimetière Al-Fayd afin d’aider à creuser les tombes, le nombre de corps à ensevelir en leur dernière demeure ayant largement dépassé les capacités locales, le porte-parole officiel du département d’État américain, déclarait via Tweeter : « La Turquie envoie généreusement ses équipes d’intervention dans le monde entier pour aider lors des catastrophes naturelles. Les États-Unis sont prêts à aider les peuples turc et syrien en ces temps difficiles ».
À cette froide insensibilité s’ajoute une hypocrisie dans les paroles et les actes que l’Occident ne prend même plus la peine de dissimuler.
Il a montré, à tous ceux qui sont encore prêts à écouter et à voir honnêtement, que la politique des doubles standards est au cœur de son action et qu’il n’hésite pas à politiser tout événement, même s’il s’agit d’un drame humain à la hauteur du séisme qui a frappé la Syrie à l’aube du 6 février, et qui a fait au moins 3000 morts. Un bilan appelé à s’alourdir car des centaines de corps sont encore ensevelis sous les décombres.
Aux yeux de l’Occident, les morts et les terribles destructions qui ont touché cinq provinces en Syrie n’ont pas la même valeur que les victimes et les dégâts en Turquie. Pourtant, c’est le même séisme qui a frappé, au même moment, les deux pays voisins.
Avec la Turquie, les pays occidentaux, Etats-Unis et Europe en tête, ont fait preuve d’un généreux élan de solidarité. Et, joignant l’acte à la parole, ils ont en envoyé, sans délai, des équipes de secouristes, des personnels soignants, du matériel de secours, des avions cargos chargés de rations alimentaires, de médicaments, de couvertures et de tentes.
Les dirigeants de ces pays ont appelé le président Recep Tayyeb Erdogan pour lui présenter leurs condoléances et lui exprimer leur soutien.
Les sanctions occidentales ont meurtri le peuple syrien
Avec la Syrie, rien de tout cela ne s’est produit. Pourtant, des deux pays touchés par le séisme, c’est bien la Syrie qui a un besoin urgent d’une aide massive et diverse. La Syrie est un pays au bord de la famine à cause des sanctions américaines et européennes décrétées unilatéralement, sans mandat des Nations unies, et que tous les pays de la planète sont sommés d’appliquer à la lettre sous peine d’être eux-mêmes soumis à des sanctions.
De toutes ces sanctions, la Loi César est la plus injuste et la plus inhumaine, car elle interdit pratiquement toute transaction commerciale et financière avec des individus et des entités syriennes.
À cause de ces sanctions la plupart des compagnies aériennes n’osent plus desservir l’aéroport de Damas ou les autres aérodromes du pays, ce qui empêche l’acheminement de l’aide d’urgence en Syrie.
Très vite, les autorités syriennes ont réalisé l’ampleur du désastre et ont lancé un appel à l’aide internationale.
Lors d’une conférence de presse à Damas mardi, le directeur du Croissant-Rouge syrien, M. Khaled Haboubati, a appelé l’Union européenne (UE) à lever les sanctions contre Damas. Il a également demandé à l’Agence américaine pour le développement (USAID) à « fournir une assistance au peuple syrien ».
L’ambassadeur de Syrie aux Nations unies, Bassam Sabbbagh, a assuré que l’aide internationale irait « à tous les Syriens sur tout le territoire », sous-entendu que même les régions qui échappent encore au contrôle de Damas, comme Idleb et le nord d’Alep, profiteraient de cette aide.
Bassam Sabbbagh s’est engagé devant le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, qu’il a rencontré à New York, à « faciliter toutes les procédures nécessaires aux organisations internationales pour qu’elles fournissent une aide humanitaire » en réponse au tremblement de terre.
Les chefs des Églises chrétiennes de Syrie ont aussi lancé un appel à la levée des sanctions pour permettre l’acheminement de l’aide internationale.