En 1904, le leader sioniste Menachem Oussishkin expliquait que «sans la propriété de la terre, la terre d’Israël ne deviendra jamais juive». Il identifiait ensuite les trois stratégies d’acquisition de la terre : l’achat, la conquête et la réquisition gouvernementale. Oussishkin était visionnaire, car c’est précisément de cette manière que le mouvement sioniste, puis l’État d’Israël, ont pris le contrôle de la grande majorité du territoire de la Palestine historique. Voici une brève histoire des trois étapes du sionisme, d’abord l’achat, puis la révolte et la guerre, et enfin le décret d’État.
Commençons par la première étape du sionisme. En 1914, les juifs possédaient environ 2% de la Palestine et en 1948, ils en possédaient environ 5,7%, soit environ 1,5 million de dunams sur les 26,3 millions de dunams de la Palestine mandataire. Cette stratégie a perduré jusqu’à aujourd’hui, même si elle a considérablement reculé. L’acquisition de terres par achat a été coûteuse et lente, et donc peu attractive.
Cela nous amène à la deuxième étape du sionisme, la conquête. Souvent oubliée, la première période au cours de laquelle les sionistes ont acquis des terres par conquête s’est déroulée entre 1936 et 1939. Au cours de cette période, les Arabes palestiniens se sont lancés dans une révolte ouverte contre les Britanniques, connue sous le nom de Grande révolte arabe. Dans leur tentative de réprimer le soulèvement, les Britanniques ont formé, armé et soutenu les forces paramilitaires sionistes et leur ont permis d’établir des avant-postes de «sécurité».
Les sionistes ont saisi l’occasion d’établir des «faits sur le terrain». Les colons juifs arrivaient sur un site et construisaient rapidement une tour de guet et quelques cabanes avec une toiture en moins de 24 heures, selon ce qu’on appelait la méthode «tour et palissade». Très vite, les «avant-postes de sécurité» ont été transformés en colonies agricoles. C’est ainsi que les sionistes ont établi 57 nouvelles colonies en Galilée, dans la vallée du Jourdain, au centre et au sud du pays. Ces colonies rurales (voir ici) abritent aujourd’hui des dizaines de milliers de juifs israéliens.
En 1948, les forces sionistes, puis l’État d’Israël, ont conquis 78% de la Palestine sous mandat britannique, expulsant 700 000 Palestiniens de leurs foyers. L’État [sioniste] a ensuite procédé à la confiscation des terres qui appartenaient auparavant aux réfugiés. Une étude de l’ONU de 1951 a évalué les terres saisies à 16,3 millions de dunams, qui comprenaient des terres privées et communautaires, tandis que le fonctionnaire de l’ONU Sami Hadawi les a estimées à 19 millions de dunams. La plupart des estimations ont cependant tendance à se situer entre 4,2 et 6,6 millions de dunams de terres confisquées par Israël au lendemain de la guerre. Il s’agit de loin de la plus grande acquisition de terres de l’histoire du sionisme.
En juin 1967, Israël a conquis les 22% restants de la Palestine historique, à savoir la Cisjordanie et la bande de Gaza. Mais cette fois, les forces israéliennes ont expulsé un pourcentage bien plus faible de la population palestinienne et ont dû adopter la troisième et dernière stratégie d’acquisition de terres : le décret.
Le premier décret, connu sous le nom de Loi sur les biens des absents (ordonnance militaire 58, publiée le 23 juillet 1967), était similaire à la Loi sur les biens des absents de 1950 utilisée pour s’emparer des terres palestiniennes après 1948. En 1967, l’armée israélienne définissait les «biens des absents» comme «les biens dont le propriétaire légal, ou quiconque est autorisé par la loi à les contrôler, a quitté la zone avant le 7 juin 1967 ou après». Le Contrôleur de l’État israélien a signalé qu’au cours des premières années de l’occupation, environ 430 000 dunams, soit 7,5% de la Cisjordanie, ont été confisqués de cette manière.
La deuxième stratégie consistait à déclarer que les terres appartenaient à un État ou à un organisme hostile. L’ordonnance militaire 59, promulguée le 31 juillet 1967, déclarait propriété de l’État toute terre ou propriété appartenant à un État hostile ou à un organisme d’arbitrage lié à un État hostile. En 1979, 687 000 dunams, soit 13% de la Cisjordanie, avaient été confisqués de cette manière.
La troisième stratégie consistait à confisquer des terres pour des besoins «publics» [lire : juifs]. Israël a largement utilisé ce décret pour saisir les terres nécessaires à la construction de routes pour desservir le réseau illégal de colonies israéliennes. Aujourd’hui, la plupart de ces routes ne sont accessibles qu’aux Israéliens, et non à la population palestinienne des territoires occupés, ce qui en fait non pas des routes publiques mais des routes d’apartheid.
La quatrième stratégie consistait à classer des terres comme réserves naturelles. L’armée israélienne a émis l’ordre 363 en décembre 1969, qui impose des restrictions sur l’utilisation des terres pour l’agriculture et le pâturage dans les zones définies comme réserves naturelles. En 1985, 250 000 dunams (soit 5% de la Cisjordanie) ont été transformés en réserves naturelles et en 1997, ce chiffre était passé à 340 000 dunams. En 2020, Israël a créé 7 réserves naturelles supplémentaires et agrandi 12 réserves naturelles existantes pour maintenir le contrôle israélien sur la zone. Puis, en avril 2022, Israël a créé sa plus grande nouvelle réserve naturelle en Cisjordanie depuis près de 3 décennies, interdisant de fait 22 000 dunams supplémentaires aux Palestiniens.
La cinquième stratégie consistait à confisquer des terres à des fins militaires. D’août 1967 à mai 1975, Israël a déclaré 1,5 million de dunams de terres – 26,6% de la Cisjordanie – zones militaires fermées. Une grande partie de ces terres a ensuite été convertie en colonies juives. Une décision de la Cour suprême israélienne de 1979 a forcé l’État à modifier légèrement sa stratégie : d’abord, les terres palestiniennes seraient déclarées «terres d’État», puis elles pourraient être réaffectées à la construction de colonies juives. De 1979 à 1992, ce système a été utilisé pour voler plus de 900 000 dunams de terres, qui ont ensuite été allouées presque exclusivement aux colonies. Aujourd’hui, 1,2 million de dunams (22% de la Cisjordanie) relèvent de cette catégorie de terres.
Israël continue d’utiliser ces trois méthodes pour s’emparer de la Palestine. Les juifs continuent de tenter d’acheter des terres aux Palestiniens, l’État continue de voter de nouvelles lois et de publier de nouveaux décrets pour confisquer davantage de terres palestiniennes, et l’armée israélienne a déjà pris le contrôle d’au moins 16% de la superficie de Gaza au cours des dix derniers mois par le biais de la conquête militaire.
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