C’est ce 4 décembre que la famille d’Emmy saura si la justice reconnaît les souffrances de cette enfant décédée à 11 ans des suites d’une longue leucémie. Pour le moment, la maladie d’Emmy a été reconnue par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides comme directement liée à l’exposition aux pesticides de sa mère fleuriste, quand celle-ci était enceinte.
Cette affaire, qui a mis en lumière les risques professionnels du métier de fleuriste, invite à réfléchir aux alternatives à l’importation de fleurs cultivées à l’autre bout du monde avec des produits parfois interdits en Europe. Basta! est ainsi allé à la rencontre de floricultrices qui explorent et pratiquent des modes de cultures sans pesticides.
« Certains clients étaient en plein désarroi et inquiets en découvrant l’histoire de Emmy », évoque Isabelle Leroux, floricultrice installée depuis quelques mois à une cinquantaine de kilomètres de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Les floricultrices rencontrées sont régulièrement interpellées par leurs clients fleuristes sur le sujet. Celles et ceux qui cultivent des fleurs en bio peuvent les rassurer sur leur façon de travailler.
Alors que la saison des fleurs se termine en cette fin de mois de novembre, sous la serre d’Isabelle installée au milieu de sa petite parcelle de 6000 m², seuls les alstrœmères – ou lys des Incas – sont encore fleuris. Ils colorent le tunnel de rouge, orange, blanc et rose et côtoient les semis de ce qui fera les bouquets du prochain printemps. « Cela fait trois semaines que je suis au champ à broyer les cultures annuelles, poser des bâches, nettoyer et faire du tri », détaille la productrice, qui a longtemps travaillé avec des personnes en situation de handicap.
Même scénario chez Emeline Declerck, installée près de Morlaix, dans le Finistère, depuis 2018, après avoir travaillé dans le secteur audiovisuel : « Je finis la vente cette semaine avec ce qu’il reste de fleurs séchées, puis je fais une pause côté commercialisation. » Outre le marché hebdomadaire de Morlaix, Emeline Declerck (qui travaille avec une salariée) vend ses fleurs à des fleuristes et épiceries. Elle a aussi un grossiste qui vient de Rennes.
De son côté, Isabelle fait pour le moment deux marchés par semaine. La veille, elle récolte et confectionne les bouquets. Cela ne laisse pas beaucoup de temps pour nettoyer, arroser et prendre soin de ce qui pousse. « Les semaines estivales, je fais bien mes 45 heures, même si j’ai un peu d’aide de ma famille. Je m’en sors parce que j’ai une petite surface. »
De petites fermes de fleurs
« Au sein de l’association des Fermes florales bios (FFB), nous avons toutes des structures de petite taille avec des cultures très diversifiées, remarque Emeline Declerck qui préside cette organisation et qui cultive 8000 m², dont 6000 en plein champ. Cela permet une certaine résilience. Si on se plante d’un côté, cela va marcher de l’autre. Cela fait sept ans que je suis installée et j’ai toujours eu des fleurs à vendre ; et elles sont aussi belles et souvent plus solides et vigoureuses que celles qui arrivent de l’autre bout du monde, ou de l’Europe. »
La petitesse des fermes laisse aussi la possibilité d’intervenir manuellement, ce qui est tout à fait inenvisageable dans de plus grosses exploitations. « Je suis passée enlever les chenilles à la main, c’est possible pour moi de prendre ce temps », rapporte ainsi Isabelle.
Mais en fleurs comme ailleurs, le secret quand on n’utilise pas de pesticides, c’est d’anticiper. « On n’a quasiment pas de solutions curatives pour faire face aux animaux, champignons et bactéries, explique Emeline Declerck. Cela oblige à plus penser en amont à ce qu’on fait et à observer ce qui se passe pour ne pas répéter nos erreurs d’une année sur l’autre. Mais en même temps, c’est tout l’intérêt de notre métier. »
Penser la rotation des fleurs
Choix des variétés les mieux adaptées au milieu, rotation des cultures, enrichissement de l’environnement : elle liste quelques méthodes pour éviter les galères. « Ne pas les replanter au même endroit chaque année permet de casser le cycle des ravageurs et d’en diminuer la pression, détaille Emeline. Comme un maraîcher se casse la tête à ne pas faire revenir trop souvent ses tomates au même endroit, le ou la floricultrice doit également penser la rotation de ses fleurs. L’idéal est souvent un minimum de quatre ans par famille botanique, mais il faut l’avouer c’est souvent compliqué. »
« Produire de la fleur bio en plein champ, cela augmente les difficultés, intervient Sophie Vairon, installée depuis 2019 non loin de Quimper (Finistère). Je dois gérer la pression des lièvres, chevreuils, sangliers et rongeurs sans avoir recours à aucun produit. J’ai de grosses ponctions sur ma production qui m’obligent à surestimer le nombre de plants pour qu’il m’en reste suffisamment à vendre. » Les floricultrices doivent également composer avec les aléas de la météo, a fortiori quand elles font le choix de ne pas cultiver sous serre, comme Sophie. « De ce côté-là, aucune prévision n’est possible et ça peut être dur psychologiquement », juge cette ancienne sportive de haut niveau, également passée par l’animation à l’environnement avant de s’installer, vers 40 ans.
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Sophie Chapelle : Quand on pense à la pollution plastique, on visualise les mers de plastique qualifiées de « septième continent ». Pourquoi le danger est-il davantage dans le plastique que l’on ne voit pas ?
Nathalie Gontard : Le danger est très souvent assimilé aux déchets plastiques assez gros pour qu’on les voit. Leurs conséquences ne sont pas négligeables – en quantité, ils assèchent les sols et étouffent des espèces qui les ingèrent. Mais le plastique devient vraiment dangereux lorsqu’il n’est plus visible, c’est à dire lorsqu’il est fragmenté en micro et en nano-plastiques. Il multiplie alors d’autant ses propriétés d’interactions et de nuisances. Il a la capacité de transformer, d’absorber des molécules essentiellement hydrophobes, c’est à dire tous les polluants (pesticides, etc) présents dans l’environnement.
Les micro et nano-plastiques peuvent transporter ces molécules – par voie d’eau, d’air et de terre – et s’introduire dans tous les organes des êtres vivants, en passant les barrières biologiques. On en retrouve assimilés dans le pancréas des crevettes, notre sang, nos poumons, notre foie... partout !
Or, aucun être vivant n’a les outils biologiques pour digérer ce plastique, le dégrader complètement. Le résultat est une accumulation de corps étrangers qui entraine des dysfonctionnements d’ordre biologique, métabolique, etc.
Cette vague de micro et nano-plastique est-elle devant nous ?
Nous avons accumulé neuf milliards de tonnes de plastiques sur Terre depuis les années 1950 dont certaines se sont déjà dégradées en micro et nano-plastiques mais qui, pour la grande majorité, sont en cours de dégradation, notamment dans nos décharges, mais pas seulement.
Car il n’y a pas que les plastiques à usage unique qui posent problème mais aussi ceux avec un usage long, dans les constructions ou les vêtements par exemple. À partir du moment où ils sont produits, les plastiques commencent à s’user, se dégrader et à produire des micro et nano-plastiques délétères. Les micro-plastiques dans le lac Léman [50 tonnes s’y accumulent chaque année, ndlr] viennent des vêtements en fibre synthétique toujours en cours d’utilisation et émis lors des lavages.
Les micro plastiques au fin fond des glaces de l’Arctique viennent de l’usure de bâtiments, isolés avec des plastiques et toujours en cours d’usage. Les microplastiques dans l’air viennent majoritairement de l’usure des pneus et des routes que nous sommes en train d’utiliser. La pollution plastique, c’est d’abord celle que l’on ne voit pas et émise au cours de l’utilisation.
La grande vague de micro et nano-plastiques est en train d’arriver. On parle de « bombe à retardement ». Quand on produit 1 kg de plastique aujourd’hui, ce sont les générations à venir qui vont devoir affronter tous les micro et nano-plastiques qui en résulteront.
Dans quelle mesure le plastique a t-il envahi le secteur de l’agriculture et de l’alimentation ?
Sur la totalité des plastiques qu’on utilise, 40 % relèvent de la fabrication, du transport et du conditionnement de nos aliments, donc de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Dans ce secteur, les usages du plastique sont parfois très courts, avec une espèce d’emballement sur son utilisation. On en est arrivés à consommer des aliments emballés sous plastiques alors qu’on n’en a absolument pas besoin ! L’un des objectifs de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (en vigueur depuis 2022) est précisément d’éliminer tous ces emballages inutiles, notamment les emballages plastiques des fruits et légumes frais. Mais les lobbies industriels cherchent à retarder la mise en place de ces mesures.
Quel regard portez-vous sur les films de paillage plastique dits biodégradables développés depuis les années 2000, notamment en cultures légumières et dans le maïs ?
Dans l’agriculture comme dans tous les autres domaines, de nouvelles technologies sont développées à grand renfort de plastique. On utilise par exemple des plastiques à déposer sur les sols pour limiter l’utilisation de pesticides ou l’arrosage, on cultive sous serre pour augmenter la productivité ... Elles sont présentées comme des technologies de transition écologique. C’est vrai dans la mesure où elles permettent de réduire notre empreinte carbone.
Par contre, elles augmentent notre empreinte plastique – c’est à dire sa capacité à perdurer pendant des milliers d’années sous forme de micro et de nano-plastique. L’empreinte plastique n’est pas comptabilisée dans les analyses de cycle de vie. C’est ainsi que certaines stratégies reposent entièrement sur le recyclage, alors que le recyclage du plastique n’existe pas !
Le plastique peut-il être biodégradable ?
La certification « Haute valeur environnementale » rencontre un vif succès parmi les grosses exploitations agricoles. Logique : elle permet de percevoir de l’argent public sans quasiment rien changer à ses pratiques peu vertueuses.
Les agriculteurs peuvent-ils utiliser des pesticides classés cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction tout en bénéficiant d’une certification « Haute valeur environnementale » (HVE) ? La réponse est oui. Le nouveau cahier des charges de cette certification – publié le 22 novembre – le permet, comme le permettait le précédent. La certification HVE inclut bien d’autres contradictions, dénoncées par les associations environnementales et certains syndicats agricoles, mais aussi par la Cour des comptes ou la Commission européenne. Elle est pourtant de plus en plus mise en avant dans les rayons des supermarchés, en particulier le vin, avec son logo rouge sur fond blanc, et sa ferme ensoleillée ornée d’un papillon.
« La HVE n’interdit ni l’utilisation des pesticides ni des OGM. Il ne faut pas laisser duper les consommateurs français. La HVE n’est rien d’autre qu’une haute volonté d’enfumage. »
À peine le cadre de la nouvelle PAC pour 2023-2027 approuvé par le Parlement européen en décembre 2021, les plus verts des eurodéputé·es et les organisations de la société civile regrettaient une politique largement en dessous des besoins en matière d’écologie.
« Il est nécessaire d’appliquer des alternatives que [l’ être humain] connaît en fait depuis des milliers d’années. C’est-à-dire essentiellement la rotation des cultures, qui consiste à cultiver ensemble différentes espèces végétales qui se protègent mutuellement. Cela passe aussi par le fait de ne pas endommager les défenses naturelles des prédateurs, mais à les laisser se développer, de sorte que ce cycle biologique, qui est en train de s’interrompre, puisse se poursuivre ».
Depuis longtemps déjà, tout le monde sait que les pesticides chimiques sont dangereux pour la santé humaine et l’environnement.
Dans une publication récente, l’entreprise associative Solagro dit avoir compilé l’intégralité des données concernant les pesticides dans notre pays. Le fruit de ce travail n’est autre qu’une carte interactive, la carte Adonis, qui montre où se trouvent les plus fortes concentrations de pesticides par commune. Pour information, Solagro accompagne des projets de transitions énergétiques et agroécologiques.
« Face aux enjeux environnementaux et de santé publique, il est nécessaire de construire une agriculture durable économe en intrants et respectueuse des ressources naturelles et d’assurer aux Français une alimentation de qualité pour réduire la prévalence des maladies chroniques »