Des milliers d’étudiants risquent de lourdes conséquences pour avoir protesté contre la violence à Gaza. Alan Macleod enquête sur les puissants liens financiers et idéologiques avec Israël qui sont à l’origine des réactions brutales des plus grandes universités américaines.
Les universités américaines sont en feu. Un mouvement de protestation contre la violence à Gaza et la complicité des universités américaines a déferlé sur le pays, avec des campements sur les campus universitaires dans 45 des 50 États américains. La répression a été rapide : des milliers d’étudiants ont été arrêtés, inculpés, condamnés à des amendes, ont perdu leur diplôme ou ont même été expulsés. Alors que les médias corporatistes réclament un «Kent State 2.0», la police anti-émeute, les véhicules blindés et les tireurs d’élite ont été déployés dans tout le pays pour terrifier ceux qui militent pour la justice et les réduire au silence.
Pourquoi des manifestations pacifiques à une écrasante majorité contre les actions d’une puissance étrangère ont-elles fait l’objet d’une réponse aussi musclée ? Une enquête de MintPress News révèle que ces mêmes institutions d’élite ont des liens financiers et idéologiques profonds avec l’État d’Israël, sont financées par des milliardaires pro-israéliens qui ont exigé qu’elles prennent des mesures pour écraser le mouvement étudiant, sont partiellement financées par le gouvernement israélien et existent dans un climat où Washington a clairement fait savoir que les manifestations ne devaient pas être tolérées.
Les milliardaires qui soutiennent Israël
Le mouvement a débuté le 17 avril à l’université de Columbia, où un modeste campement de solidarité avec Gaza a été établi. Les manifestants ne s’attendaient guère à être accueillis par les autorités universitaires, mais ils ont été choqués lorsque la présidente de l’université, Minouche Shafik, a immédiatement fait appel à la police de New York. C’était la première fois que l’université autorisait la police à réprimer la dissidence sur le campus depuis les célèbres manifestations de 1968 contre la guerre du Viêt Nam.
La décision de Mme Shafik a sans doute été influencée par l’énorme pression exercée sur elle par les principaux donateurs de l’université, dont beaucoup ont des liens étroits avec l’État israélien et son armée.
Robert Kraft
L’homme d’affaires milliardaire et dirigeant sportif Robert Kraft, par exemple, a annoncé publiquement qu’il privait l’université de son généreux financement parce qu’elle n’avait pas su réprimer les manifestations de manière suffisamment efficace. «Je suis profondément attristé par la haine virulente qui continue à se développer sur le campus et dans tout notre pays», a-t-il déclaré dans un communiqué, affirmant que Columbia ne protégeait pas ses étudiants juifs.
Le tournant, selon M. Kraft, a été l’observation d’un coup de publicité de Shai Davidai, un universitaire israélo-américain de Columbia, qui a prétendu que son accès au campus avait été révoqué. M. Davidai avait auparavant qualifié les étudiants protestataires de «nazis» et de «terroristes» et demandé que la Garde nationale soit envoyée sur le campement, faisant ainsi indirectement référence au massacre de l’université d’État de Kent.
Kraft est l’un des plus importants donateurs de Columbia. Il a donné à l’institution des millions de dollars, dont 3 millions pour financer le Centre Kraft pour la vie étudiante juive.
Il entretient également des liens étroits avec Israël, où il s’est rendu plus de 100 fois, notamment pour un déjeuner privé avec son ami, le Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a déclaré : «Israël n’a pas d’ami plus loyal que Robert Kraft».
Netanyahu a raison. Kraft est l’un des principaux bienfaiteurs du lobby israélien, ayant donné des millions à des groupes tels que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), The Israel Project et StandWithUs. Il s’est engagé à verser la somme gigantesque de 100 millions de dollars à sa propre Fondation pour la lutte contre l’antisémitisme, un groupe qui accuse les détracteurs de la politique israélienne de racisme antijuif. Il a également financé une multitude de politiciens pro-israéliens dans des courses contre des adversaires progressistes et anti-guerre. Une récente enquête de MintPress News a examiné de plus près la façon dont Kraft est un acteur clé dans la tentative de blanchir l’image d’Israël en Amérique.
Leon Cooperman
Leon Cooperman est un autre bienfaiteur milliardaire qui a retiré son financement à Columbia. Le gestionnaire de fonds spéculatifs a suspendu ses dons en octobre, invoquant le soutien des étudiants à la Palestine. «Ces jeunes sont complètement fous. Ils ne comprennent pas ce qu’ils font ou ce dont ils parlent», a-t-il fulminé, ajoutant qu’ils «doivent être contrôlés». Une personne qui sait de quoi elle parle sur cette question est le professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle de Columbia, Joseph Massad. Pourtant, Cooperman a exigé que Massad soit licencié après que l’universitaire a pris des positions sur la Palestine qu’il désapprouvait.
Cooperman a une énorme influence sur Columbia, précisément parce qu’il est l’une de ses principales sources de revenus. En 2012, par exemple, il a fait don de 25 millions de dollars pour soutenir la construction du nouveau campus de l’université à Manhattanville.
Toutefois, Columbia est loin d’être la seule organisation à recevoir de l’argent somptueux de Cooperman. Il est également un donateur régulier des Amis des forces de défense israéliennes (FIDF), un groupe qui collecte de l’argent pour acheter des fournitures, des équipements et du soutien pour les soldats israéliens en service actif. En outre, il a été le premier à fournir une dotation à Birthright Israel, une organisation qui propose des voyages de propagande gratuits en Israël pour les jeunes juifs.
Len Blavatnik
L’oligarque d’origine soviétique Len Blavatnik, qui a exigé que les manifestants de l’université «rendent des comptes», est un troisième milliardaire qui a utilisé son influence financière pour faire pression sur Columbia. Des messages divulgués révèlent que pour Blavatnik, cela signifiait utiliser tout le poids de la loi contre les manifestants.
Blavatnik était membre d’un groupe WhatsApp secret créé en octobre 2023, qui comprenait de nombreuses personnalités américaines, les anciens premiers ministres israéliens Naftali Bennett et Benny Gantz, ainsi que l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Michael Herzog. Sa mission était, selon ses propres termes, de «changer le récit» en faveur d’Israël et d’«aider à gagner la guerre» pour l’opinion publique américaine. Elle a notamment fait des dons à des candidats politiques pro-israéliens et tenté de faire pression sur des célébrités noires telles que Alicia Keys, Jay-Z et LeBron James pour qu’elles «condamnent publiquement l’antisémitisme», c’est-à-dire qu’elles tentent d’assimiler les manifestants à des racistes.
Blavatnik finance également Birthright et les Amis britanniques de l’Association pour le bien-être des soldats israéliens et a financé au moins 120 bourses d’études pour d’anciens soldats de Tsahal. Ensemble, Kraft, Cooperman et Blavatnik auraient donné près de 100 millions de dollars à Columbia.
Idan Ofer
À partir de Columbia, les manifestations se sont rapidement répandues dans toute l’Amérique, y compris dans les institutions les plus prestigieuses du pays, dont Harvard.
Dès le début, l’université s’est montrée activement hostile au mouvement de protestation et a suspendu des dizaines de manifestants, les empêchant ainsi d’obtenir leur diplôme. Cette hostilité est sans doute en partie due au fait que les grands donateurs de l’université se sont retirés en masse depuis le 7 octobre. Le principal d’entre eux est le magnat israélien du transport maritime Idan Ofer, qui a cité ce qu’il a appelé «le manque de preuves claires du soutien de la direction de l’université au peuple d’Israël» et a exprimé sa consternation quant au fait que l’université du Massachusetts ne condamnait pas le Hamas avec suffisamment de fermeté.
Ofer est un acteur essentiel du renseignement israélien. Comme l’a révélé une précédente enquête de MintPress News, les cargos Zodiac Maritime de sa famille ont régulièrement été utilisés pour transporter secrètement des commandos israéliens au Moyen-Orient dans le cadre d’opérations d’assassinat. C’est ainsi que Mahmoud al-Mabhouh, représentant du Hamas, a été tué à Dubaï et Khalil al-Wazir, dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine, en Tunisie.
Leslie Wexner
L’ancien PDG de Victoria’s Secret, Leslie Wexner, est un autre milliardaire apparemment «stupéfait et écœuré» par les positions pro-Hamas de Harvard. Outre les liens exceptionnellement étroits et très médiatisés de Wexner avec les trafiquants de sexe d’enfants et l’agent de renseignement israélien Jeffrey Epstein, Wexner est un donateur important pour les causes israéliennes.
Une liste de donateurs politiques potentiels établie en 2007 par Benjamin Netanyahu mentionne Wexner en bonne place. (Eyal, le frère de Ofer, Blavtnik et Donald Trump y figurent également). En 2023, Wexner a fait don d’une somme à six chiffres à l’AIPAC, la principale force pro-israélienne dans la politique américaine.
Marc Rowan
Cependant, nulle part ailleurs, la réaction des élites aux manifestations étudiantes n’a été aussi amère qu’à l’université de Pennsylvanie. C’est Marc Rowan qui a mené la charge pour réprimer le sentiment pro-palestinien sur le campus. L’investisseur milliardaire a exigé que son camp «fasse payer le prix» aux étudiants qui expriment leur solidarité avec la Palestine. «Ces jeunes qui défilent n’y pensent pas parce qu’il n’y a pas de prix à payer», a-t-il expliqué, suggérant qu’ils ne devraient plus jamais être autorisés à travailler : «Je ne vous embaucherais pas si vous étiez anti-Noirs. Je ne vous embaucherais pas si vous étiez anti-homosexuels. Je ne vous embaucherais pas si vous étiez contre quoi que ce soit. Pourquoi embaucherais-je un antisémite ?» a-t-il déclaré, faisant l’amalgame entre l’antisémitisme et la critique du gouvernement israélien.
Rowan s’est fermement opposé à l’organisation par UPenn d’un festival de littérature palestinienne en 2023, exigeant que la présidente de l’université, Liz Magill, et le président du conseil d’administration d’UPenn, Scott Bok, soient licenciés. Après le 7 octobre, Rowan et ses alliés ont réussi à les forcer à quitter leur poste.
Rowan a une influence considérable sur son alma mater, principalement en raison de ses poches extraordinairement profondes. En 2018, par exemple, il a fait don de 50 millions de dollars à la Wharton School of Business de Pennsylvanie. Mais à l’instar des bienfaiteurs de Columbia et de Harvard, il est loin d’être un acteur neutre sur la question d’Israël et de la Palestine. En fait, il a des intérêts commerciaux considérables en Israël. Il s’ est décrit comme quelqu’un qui a un «engagement fort et massif» envers le pays et qui «s’appuie sur les forces de défense israéliennes et sur ce que fait Israël» pour s’orienter.
Rowan et d’autres oligarques, Jonathon Jacobson et Ronald Lauder, ont contribué à organiser une grève du financement des universités jusqu’à ce que leurs demandes soient satisfaites. Jacobson, qui a affirmé que l’université refusait de défendre les valeurs américaines, est le président de l’Institute for National Security Studies, un groupe de réflexion israélien dont le directeur actuel est l’ancien chef des services de renseignement de Tsahal, Amos Yadlin. Il n’est pas surprenant que, pour un homme de ce milieu, il fasse depuis longtemps des dons à des groupes pro-israéliens aux États-Unis.
Lauder, quant à lui, est encore plus lié à l’establishment israélien que Jacobson. Proche confident et partisan de Netanyahou, il a été nommé négociateur d’Israël avec le gouvernement syrien en 1998. Sa présence à un rassemblement «One Jerusalem» devant des extrémistes religieux et nationalistes en 2001 a conduit à un boycott de la marque Estée Lauder dans le monde musulman.
Collaboration universitaire
Outre la pression exercée par les donateurs, les universités américaines d’élite entretiennent des liens académiques et commerciaux étroits avec Israël. Par exemple, Columbia a annoncé l’année dernière qu’elle ouvrirait un «centre mondial» à Tel-Aviv, qui servirait de pôle de recherche pour les universitaires et les étudiants diplômés. Cela permettrait à l’université d’étendre ses activités en Israël, où les étudiants peuvent déjà obtenir un diplôme conjoint avec l’université de Tel-Aviv ou étudier à l’étranger à Tel-Aviv ou à l’étranger. Ce développement ne profitera toutefois qu’aux Israéliens, car les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et d’ailleurs sont généralement interdits d’entrée en Israël.
Le projet de nouveau centre mondial a suscité de vives critiques de la part des membres du corps enseignant de Columbia, dont près de 100 ont signé une lettre demandant à l’université de reconsidérer sa décision, compte tenu des antécédents d’Israël en matière de droits de l’homme. En outre, ces dernières années, de nombreux universitaires de Columbia se sont vu interdire l’entrée en Israël, probablement en raison de leurs opinions politiques. Il s’agit notamment de Rashid Kalidi, professeur d’études arabes modernes Edward Saïd, et de Katherine Franke, professeur de droit, qui a été détenue et interrogée par les autorités israéliennes pendant 14 heures avant d’être expulsée.
Pourtant, en ce qui concerne les établissements d’enseignement américains, la collaboration israélienne de Columbia n’est pas inhabituelle. En 2003, l’université Cornell et le Fonds binational israélo-américain de recherche et de développement agricoles ont mis en place un programme de recherche agricole conjoint. En 2014, la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de l’université de Princeton a annoncé un programme commun avec la Lauder School of Government, Diplomacy and Strategy de l’IDC Herzliya en Israël. (L’école Lauder porte le nom de son fondateur et bienfaiteur, Ronald Lauder, défenseur de longue date de la cause sioniste). L’université de Californie a signé un protocole d’accord avec l’autorité nationale israélienne pour l’innovation technologique afin de renforcer la coopération entre les deux organisations.
Malgré le mouvement croissant appelant au boycott académique des institutions israéliennes, la collaboration intellectuelle entre les universitaires américains et israéliens s’est accrue. Entre 2006 et 2015, le nombre d’articles publiés dans des revues universitaires et dont les auteurs étaient des chercheurs affiliés à des universités américaines et israéliennes a augmenté de 45%.
Cette collaboration concerne principalement les institutions d’élite. En tête de liste des écoles, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui, entre 2006 et 2015, a publié 1835 articles en collaboration avec des chercheurs d’institutions israéliennes. Le MIT est suivi par l’Université de Californie, Berkeley, Columbia, Harvard et Stanford, respectivement. Les domaines de recherche les plus courants sont la médecine, la physique et l’astronomie, la biochimie et la biologie. L’université de Tel Aviv est le collaborateur israélien le plus fréquent.
Comme nous l’explique dans le menu Renaud Beauchard, le financement des manifestations et des occupations universitaires sert à alimenter un chaos qui exaspèrent les étudiants non militants, qui irritent les témoins d’un spectacle de violence et de chaos, et qui justifie ensuite le tour de vis par les autorités en faveur de la sacro-sainte sécurité. On arrive alors au nœud gordien – ou plutôt sorosien : la censure des idées en général et la répression de tout ce qui sera qualifié de près ou de loin d’antisémitisme.
Rien de neuf, donc, les gauchistes sont ici utilisés comme les idiots utiles qu’ils ont toujours été, mais à un niveau confinant présentement à un remarquable tour de force.
Ainsi, sont en cours ou déjà réalisés, une loi de type loi Gayssot – malgré le sacro-saint Premier amendement – mais aussi la « loi Tik Tok », le National Security Act, les aides monstrueuses à l’Ukraine, la reconduction de la Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), etc. Tout cela permet la mise en place d’une oligarchie de surveillance nous entraînant vers une dystopie dangereuse mais bien réelle.
Le pire étant le ralliement de la plupart des Républicains à toutes ces volontés liberticides et ces censures. Même Donald Trump, empêtré dans ses procès, se rallie à un certain nombre de ces positions. Les optimistes espéreront qu’il cherche à ne pas faire trop de vagues et à envoyer des signaux lui permettant de disposer d’un meilleur traitement. L’avenir nous le dira.
Enfin, même Robert Kennedy Jr, qu’on espérait comme vrai subversif (là où Trump se félicite encore de sa politique vaccinale et n’a jamais renvoyé Anthony Fauci), semble s’aligner sur certaines positions peu recommandables, que ce soit sur le conflit israélo-palestinien ou son choix de Nicole Shanahan, ex-femme du cofondateur de Google Sergey Brin, comme colistière.
L’avenir paraît sombre, mais n’oublions pas que le pire n’est jamais certain, et que l’espoir fait vivre, parfois même jusqu’à la victoire.
Les gouvernements leur répondent avec des mesures d’ajustement, des simplifications bureaucratiques et quelques paroles de réconfort. En réalité, ils sont impuissants face à une structure conçue pour appliquer une idéologie qui se révèle folle.
Dans toute l’Europe occidentale et centrale, les paysans manifestent. Ce fut d’abord aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse et en Roumanie, aujourd’hui en Espagne, en France, en Allemagne et en Pologne. Cette jacquerie à l’échelle continentale se soulève contre la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne.
Lors de la signature du Traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne, en 1957, les six États fondateurs (Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) ont accepté le principe de libre circulation des marchandises. Ils s’interdisaient ainsi toute politique agricole nationale.
Afin de garantir des revenus aux paysans, ils mirent donc en place une politique agricole commune. Selon les États-membres, une aide de l’Union européenne est versée aux régions qui les répartissent aux agriculteurs ou directement aux exploitants (comme en France). C’est le « Premier pilier ». En outre, la Commission européenne détermine des normes de production afin d’améliorer la qualité de vie des populations rurales et celle de leurs productions. C’est le « Second Pilier ».
Le Premier pilier n’a pas résisté à l’élargissement de l’Union européenne, et au passage au libre-échange global (L’UE adhère à OMC en 1995) qui induit une augmentation démesurée des subventions communautaires. Le Second pilier a été pulvérisé par le Pacte vert pour l’Europe (2019) qui ambitionne de faire baisser la température de la Terre en limitant les émissions de gaz à effet de serre.
En l’absence de PAC globale, il n’existe pas de solution à l’échec du Premier pilier : le principe anglo-saxon de libre-échange global est incompatible avec celui du libre-échange européen compensé par la PAC européenne. Des prix plancher des produits agricoles, tels qu’annoncés par divers exécutifs nationaux, ne sauveront pas les paysans, mais au contraire les tueront dans la mesure où l’on continuera à accepter des produits importés à des prix bien plus bas.
Quant au Second pilier, il ne poursuit plus d’objectif politique, mais idéologique. En effet, l’affirmation selon laquelle le réchauffement de la planète n’est pas local, mais global, est contredit par les relevés de température. Tandis que l’affirmation selon laquelle il ne provient pas de facteurs astronomiques, mais de l’activité humaine, ne résiste pas au débat scientifique.
Rappelons que le Groupe inter-gouvernemental d’étude sur l’évolution du climat (GIEC) n’est pas une académie scientifique, mais une réunion de hauts-fonctionnaires (dont certains sont des scientifiques, mais qui siègent toujours en tant que hauts-fonctionnaires) constituée, en 1988, à l’initiative de Margaret Thatcher pour justifier le passage du charbon au pétrole, puis au nucléaire [1]. Ses conclusions, si elles ont été approuvées par les gouvernements qui peuvent passer au nucléaire, ont été violemment rejetées par des cénacles scientifiques dont la prestigieuse Académie des sciences de Russie [2]. Le prétendu « consensus scientifique » en la matière n’existe pas plus que la fameuse « communauté internationale » qui « sanctionne » la Russie. Au demeurant, la science ne fonctionne pas par consensus, mais par essai-erreur.
Les tentatives de développer un tourisme vert dans les zones rurales ne sauvera pas les paysans. Tout au plus leur permettra-t-il de louer des chambres dans leurs fermes quelques semaines par an. Le problème n’est pas de changer d’activité, mais de permettre aux paysans de vivre et de nourrir leur population.
Les paysans d’Europe occidentale et centrale sont aujourd’hui dépendants des subventions européennes. Ils ne s’opposent pas à l’Union européenne qui leur permet de survivre, mais dénoncent ses contradictions qui les étouffent. La question n’est donc pas d’abroger tel ou tel règlement, mais de dire quelle forme d’Union européenne nous souhaitons construire.
Les prochaines élections de l’Union européenne se tiendront en juin. Il s’agira d’élire les députés du Parlement européen, les seuls élus de l’Union. En effet, le Conseil n’est pas élu au plan de l’Union, mais est composé de chefs d’État et de gouvernement élus au plan national, quant à la Commission, elle n’est pas élue du tout et représente les intérêts des parrains de l’Union.
Les différents projets de construction européenne
Pour comprendre cet étrange système, et éventuellement le modifier, revenons sur son origine : de l’entre-deux-guerres (1918-1939) à l’immédiat après-guerre (1945-57), il y a eu six projets concurrents d’union.
1- Le premier était porté par les Républicains radicaux. Il visait à unir des États administrés par des régimes comparables. On parlait alors d’unir des pays d’Europe et d’Amérique latine gouvernés en République.
La définition des Républiques et des Monarchies n’avait aucun rapport avec les élections et les successions dynastiques. Ainsi, le roi de France Henri IV se décrivait comme « républicain » (1589-1610), dans la mesure où il se dévouait au Bien commun de ses sujets et non pas aux intérêts de sa noblesse. Notre lecture des Républiques et des Monarchie date des Démocraties (le gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple). Elle se focalise sur les règles de désignation des dirigeants et non plus sur ce qu’ils font. Ainsi, nous considérons le Royaume-Uni contemporain comme plus démocratique que la France et ne tenons pas compte des invraisemblables privilèges dont jouit la noblesse britannique au détriment de son peuple.
L’Argentine d’Hipólito Yrigoyen (qui était alors la principale puissance économique des Amériques) aurait côtoyé au sein de cette union la France d’Aristide Briand (dont l’Empire s’étendait sur tous les continents). Le fait que ces Républiques ne soit pas nécessairement contigües ne choquait personne. Au contraire, cela garantissait que l’union ne se transformerait jamais en une structure supra-nationale, mais resterait un organe de coopération inter-étatiques.
Ce projet sombra avec la crise économique de 1929 et la montée du fascisme qu’elle provoqua.
2- Le deuxième était celui d’une union qui garantirait la paix. Le ministre des Finances français, Louis Loucheur, assurait que si l’Allemagne et la France s’unissaient dans un seul complexe militaro-industriel, ils ne pourraient plus se faire la guerre. [3].
Il fut réalisé lorsque, après la Seconde Guerre mondiale, les Anglo-Saxons décidèrent de réarmer l’Allemagne. En 1951, l’ancien ministre pétainiste Robert Schuman créa la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
La CECA a pris fin en 2002 et a été intégrée par le Traité de Nice à l’Union européenne.
3- Le troisième emprunte aux deux précédents. Il a été rédigé par le comte autro-hongrois Richard de Coudenhove-Kalergi. Il vise à unir tous les États du continent (sauf le Royaume-Uni et l’URSS) au sein d’une « PanEuropa ». Dans un premier temps, il se serait agi d’une fédération comparable à la Suisse, mais à terme ce serait devenu une entité supra-nationale sur le modèle des États-Unis et de l’URSS stalinienne (qui défendait les cultures des minorités ethniques) [4].
Ce projet a été plus ou moins réalisé avec le soutien des États-Unis. C’est, en 1949, la création du Conseil de l’Europe. J’écris « plus ou moins » parce que le Royaume-Uni en est un membre fondateur, ce qui n’était pas initialement prévu. Ce Conseil a élaboré une Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Il s’est doté d’une Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) chargée de veiller à son application.
Cependant, à partir de 2009, de nombreux magistrats de cette Cour ont été sponsorisés, pour ne pas dire corrompus, par le milliardaire états-unien George Soros. Progressivement, ils ont interprété la Convention de manière à modifier la hiérarchie des normes. Par exemple, aujourd’hui, ils considèrent que les Traités internationaux sur le sauvetage en mer (qui prévoient
de débarquer les naufragés dans le port le plus proche) doivent s’effacer devant le droit des migrants à introduire des demandes d’asile politique en Europe.
Aujourd’hui, cette Cour juge en son absence et condamne systématiquement la Fédération de Russie, alors que celle-ci a été suspendue du Conseil de l’Europe, puis l’a quitté.
4- Le quatrième projet, le « Nouvel Ordre Européen », était celui du III° Reich à partir de 1941. Il s’agissait d’unir le continent européen en répartissant sa population, par région, selon des critères linguistiques. Chaque langue régionale, comme le Breton, aurait eu son État. L’État de loin le plus important aurait été celui où l’on parle allemand (Allemagne, Autriche, Liechtenstein, Luxembourg, Suisse alémanique, Tyrol italien, Sudètes tchécoslovaques, Carpates slovaques, Banat roumaine, etc.). En outre, des critères raciaux aurait déterminé les populations qui auraient été« réduites » (Juifs, Tsiganes et Slaves) et mises en esclavage.
Ce projet a été négocié entre le chancelier Adolf Hitler et le duce Benito Mussolini par l’entremise du juriste allemand Walter Hallstein. Il a été partiellement réalisé durant la Seconde Guerre mondiale, mais s’est effondré avec la chute du III° Reich.
5- Le cinquième projet fut formulé, en 1946, par l’ancien Premier ministre britannique, Winston Churchill [5]. Son objectif était de réconcilier le couple franco-allemand et d’écarter les Soviétiques. Il s’inscrit dans la vision de la Charte de l’Atlantique (1942) pour qui le monde d’après-guerre devait être gouverné conjointement par les États-Unis et l’Empire britannique. Plus encore, il participe de sa vision du rôle du Royaume-Uni appuyé sur le Commonwealth. Du côté atlantique, il développe une relation privilégiée avec les États-Unis et, du côté continental, il supervise l’Europe dont il ne se considèrent pas comme membre.
Winston Churchill a lancé simultanément plusieurs institutions. En définitive, c’est ce projet qui a été réalisé d’abord, en 1957, sous le nom de Communauté économique européenne (CEE) puis, en 1993, sous celui d’Union européenne (UE). Il emprunte des éléments à trois des projets précédents, mais jamais à celui de l’union des Républiques.
Les Anglo-Saxons ont toujours contrôlé la CEE-UE via la Commission européenne. C’est la raison pour laquelle elle n’est pas élue, mais nommée. D’ailleurs, Londres en a fait nommer comme premier président Walter Hallstein, l’ancien conseiller du chancelier Adolf Hitler pour les questions européennes. Par ailleurs, la Commission disposait initialement du pouvoir législatif qu’elle partage aujourd’hui avec le Parlement européen. Elle l’utilise pour proposer des normes que le Parlement valide ou rejette. Toutes ces normes reprennent mot à mot celles de l’Otan qui, contrairement à une idée répandue, ne se préoccupe pas seulement de Défense, mais de l’organisation des sociétés. Les bureaux de l’Otan, initialement situés au Luxembourg et aujourd’hui à côté de la Commission à Bruxelles, lui transmettent ses dossiers, depuis la largeur des routes (pour laisser passer les blindés) jusqu’à la composition du chocolat (pour composer la ration du soldat).
6- Le sixième projet a été développé par le président français Charles De Gaulle en réponse à celui des Britanniques. Il entendait construire une institution non pas fédérale, mais confédérale : l’« Europe des Nations ». Il déplora le Traité de Rome, mais l’accepta. Il interdit en 1963 et en 1967 au Royaume-Uni d’y adhérer. Il précisa que si élargissement devait y avoir, ce serait de Brest à Vladivostok, c’est-à-dire sans le Royaume-Uni, mais avec l’Union soviétique. Surtout, il se battit bec et ongles pour que les questions influant sur la Sécurité nationale ne puissent être prises qu’à l’unanimité.
Sa vision disparut avec lui. Les Britanniques sont entrés dans la CEE en 1973 pour en sortir en 2020. Il n’a jamais été proposé à la Russie d’y entrer et aujourd’hui, l’UE accumule les « sanctions » à son égard. Enfin, la prochaine réforme des Traités prévoit une majorité qualifiée pour les questions influant sur la Sécurité nationale.
Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
Une vache qui mène au pas une file d’une cinquantaine de tracteurs et quelques centaines d’agriculteurs dans les rues de Marseille. La scène a de quoi amuser les badauds, dont beaucoup sortent leurs téléphones pour filmer. Derrière Iris — la ruminante — ils ont convergé de plusieurs départements, à l’appel de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA).
« Notre objectif est simple. Nous avions promis il y a 15 jours que si le Premier ministre ne tenait pas parole, nous reviendrons manifester », exposait Laurent Depieds, le président de la FRSEA de Provence-Alpes-Côte d’Azur devant le Musée des civilisations européennes et méditerranéenne (Mucem) ce lundi 19 février avant le départ du cortège. « Premièrement, nous voulons des réponses sur le revenu des agriculteurs. Quand sur cent euros de produits vendus, seulement dix euros reviennent au producteur, c’est du mépris de classe », affirme le syndicaliste.
« Le deuxième sujet, c’est la souveraineté alimentaire. Il faut arrêter de laisser entrer des poulets qui viennent d’Ukraine ou du Brésil, le miel de Chine et les cerises de Turquie. Le troisième point, c’est l’oppression administrative. Les paysans en travaillant risquent plus que les délinquants », poursuit Laurent Depieds, cultivateur de plantes aromatiques en bio dans les Alpes-Haute-Provence. « On veut que le Premier ministre sache que quand il ira au salon de l’agriculture [qui s’ouvre le 24 février], ce ne sera pas pour faire des belles photos et alimenter son Facebook, ce sera pour venir avec des propositions concrètes », conclut l’homme au micro.
« Au salon de l’agriculture, ce ne sera pas pour faire des belles photos »
La manifestation doit s’élancer, mais une trentenaire en habit de travail demande la parole. Amandine, « vigneronne dans le Var » se dit « pas d’accord avec les mesures annoncées. Ça ne changera rien. Ce ne sont que des broutilles. À la FNSEA, au sommet, c’est corrompu, il y a des conflits d’intérêt. Il faut que l’on se fédère par la base pour sortir de l’Union européenne. Il nous faut un Frexit, c’est le seul moyen de sortir du cercle infernal de cette Europe pourrie », exhorte-t-elle. Quelques voix s’élèvent pour désapprouver. « J’ai jamais entendu de conneries pareilles », beugle un homme.
Installé sur 100 hectares en polyculture à Velaux (Bouches-du-Rhône), Lionel Giordano est venu avec son fils. Il n’a pas l’intention de voir ce dernier prendre la suite. « Non, c’est trop dur. Mon père, je ne le vois jamais », confirme Mathieu, 19 ans.
Lionel Giordano a arrêté de faire des volailles, « la semaine dernière ». Trop compliqué avec la grippe aviaire, alors que son exploitation est à proximité des couloirs de migrations de l’avifaune sauvage. Il poursuit ses cultures de fruits et légumes bios vendus en Amap et pour la restauration collective, commencées en 2008, après une première carrière d’ouvrier qualifié dans la pétrochimie à Berre.
Hahahahahaha. Tout ceci est toujours cousu de fil blanc avec les syndicats qui ne sont que les courroies de transmission des gouvernements successifs.
Ils organisent et canalisent juste le mécontentement social.
Ils sont les organisateurs des psychothérapies sociales collectives.
Avec le mouvement des agriculteurs nous atteignons des sommets et objectivement cela se voit.
La FNSEA ne voulait pas manifester. Dépassée par sa base, elle y est allée en mettant tous les freins nécessaires.
L’Etat, bon joueur, a laissé faire quelques bennages de purin et autres lisiers.
On a laissé tout le monde se défouler pendant une grosse semaine.
Puis… allez, zou, rentrez niche, coucouche panier.
Bien que le gouvernement ait partiellement reculé le jeudi 4 janvier sur la suppression des avantages fiscaux sur le gazole non routier (GNR), les agriculteurs allemands ne décolèrent pas. Des blocages routiers et autoroutiers se profilent alors que la fédération des transports appelle à suivre le mouvement.
Comme expliqué dans notre précédent article, la Cour constitutionnelle allemande a retoqué le budget 2024 présenté par Olaf Scholz en novembre. Forcé d’opérer des coupes budgétaires, le chancelier a opté pour la suppression d’allègements fiscaux sur le diesel agricole et sur l’impôt sur les tracteurs, ce qui a déclenché la colère des agriculteurs dès décembre.
Des concessions du gouvernement que les agriculteurs estiment insuffisantes
La coalition allemande actuellement au pouvoir (composée du Parti social-démocrate, du Parti libéral-démocrate et des Verts) a bien tenté de calmer le jeu. Le 4 janvier, le gouvernement a déclaré abandonner son projet d’introduction d’une taxe sur les véhicules agricoles et forestiers. Il a aussi proposé une suppression progressive des allégements fiscaux sur le diesel agricole, de 2024 à 2026, au lieu d’une suppression totale. Ces concessions n’ont pas convaincu la fédération des agriculteurs allemands (DBV), qui a réitéré ses appels à des manifestations sans précédent pour les deux semaines à venir. Rien qu'en Bavière, 180 actions ont été enregistrées. Elles débutent ce lundi 8 janvier.
Les revendications des syndicats sont claires. Ils comptent faire grève jusqu'à ce que le gouvernement renonce à leur imposer toute mesure d’austérité dans le budget annuel qui est en train d’être voté. La Commission budgétaire du Bundestag arrête le budget fédéral pour 2024 la troisième semaine de janvier. C’est pour cette raison que la plus grosse manifestation est annoncée un peu avant, pour le 15 janvier, à Berlin.
Cependant, la colère ne se cantonne déjà plus au monde agricole, et prend des allures de grève générale contre la politique budgétaire du gouvernement Scholz.
Un mouvement qui prend des allures de grève générale.
La porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré que les manifestants en France utilisaient des armes que les alliés occidentaux du régime de Kiev fournissaient aux militants ukrainiens. Ces propos ont été rapportés par l’agence TASS.
Mme Zakharova affirme que les armes fournies par les alliés occidentaux, l’OTAN et la France elle-même pour soutenir «les nationalistes, les nazis et les fascistes en Ukraine n’arrivent pas seulement en boomerang sur leur territoire, mais frappent leur propre peuple», soulignant que les armes finissent entre les mains de ces mêmes manifestants français.
«Les armes fournies à Kiev finissent entre les mains de ces mêmes manifestants et sont utilisées contre la police en France»
Texte : Egalité et Réconciliation
Ce qui est intéressant, c’est de constater la profondeur de l’enracinement de la colère et la forme d’organisation qui se met en place. Celle-ci est non pas élaborée et pensée de manière pyramidale ou imposée par un système, mais bien plutôt de manière anarchiste au sens premier – sans autorité et sans règles formelles. Des « collectifs » locaux, comme d’insaisissables entités qui sourdent de la terre, agissant telle une hydre à plusieurs tête dans des actions à faibles prévisibilités. Tout ce que détestent à la fois un gouvernement autoritaire et son bras policier.
Nous sommes un peu passés des Gilets jaunes première génération qui furent à l’époque comme un cri primal et donc rudimentaire, à des Gilets jaunes protéiformes desquels les organisations syndicales sont encore tenues à distance (en vérité ce sont elles qui constatent qu’elles n’ont plus la main et ne peuvent plus trahir en organisant leur éternel arrangement avec le pouvoir) et qui semblent s’être enracinés de façon durable, comme un lichen providentiel qui recouvrirait chaque jour davantage notre pays.
Des « traumatisés » qui souffrent de blessures physiques mais aussi psychologiques.
En apparence, c’est un tableur Excel tout ce qu’il y a de plus banal. 150 cases, fond blanc, police d’écriture noire. Entre les lignes de ce « recensement » – non exhaustif, précisent ses auteurs – des blessures constatées par des soignants sur les manifestants de Sainte-Soline, publié le 31 mars par Les Soulèvements de la Terre, se dessine un effroyable tableau, empli de douleurs vives aux conséquences durables. Deux urgences vitales, deux nez « délabrés », un œil meurtri par des morceaux de verre, une plaie aux testicules, des dizaines d’éclats de grenades, une pelletée de blessures « profondes », parfois nécrosées, pouvant atteindre la « taille d’un œuf »… Ainsi que de l’anxiété, de la panique, des sensations de « dissociation ». Autant de troubles qui continuent, deux semaines après les faits, d’affecter un grand nombre de militants.
Sur le plan physique, d’abord. Nombreux sont ceux à porter les stigmates de la répression policière. Le pronostic vital de Serge, un manifestant touché à la tête par une grenade, est encore aujourd’hui engagé. Victime d’un tir de LBD à la gorge, Mickaël, la trentaine, a quant à lui dû être plongé dans le coma pendant plus d’une semaine, et subir une importante opération du cerveau. Il s’est depuis réveillé.
À ces deux cas très médiatisés s’ajoutent des dizaines d’autres. Médecin généraliste venue manifester à Sainte-Soline, Perle raconte avoir eu l’impression de se trouver « dans une zone de guerre ». Après avoir pris en charge Mickaël, la jeune femme s’est retrouvée sur un chemin où se trouvaient de nombreux blessés. « Tout le monde hurlait. Il y avait plusieurs personnes avec le visage en sang, des gens à terre, sous des couvertures de survie, qui pleuraient, à moitié conscients... » Les organes de certains ont été, selon ses observations, durablement endommagés. « Quand on ouvrait l’œil d’un d’entre eux, on voyait juste un globe [oculaire] rouge. Dans ce type de cas, le pronostic fonctionnel est engagé. »
Mais il y en a tant d’autres, qui débordent des titres de la presse. Colère des infirmières, des profs, des postiers, des cheminots, des habitant·es des quartiers populaires, des féministes, des parents d’élèves… pour n’en citer que quelques-unes. Il y a les colères installées, passées sous les radars des grands médias mais toujours présentes, comme celle suscitée par le pass sanitaire et la suspension des personnels non vaccinés. Les colères de fond, contre les injustices sociales et notre parodie de démocratie. Et enfin les colères manipulées, orientées contre des boucs émissaires – « immigrés », musulmans, chômeurs, fonctionnaires… Ces colères-là jouent sur les peurs. « La peur mène à la colère, la colère à la haine… » Il disait pas que des conneries, Yoda.
Mais son propos est quand même restrictif. Le calme olympien des jedi, qui par leurs émotions jamais ne doivent se laisser envahir, renvoie aux philosophes grecs qui prônaient la maîtrise de soi : pour eux, la colère était signe d’impuissance. Si les Romains ont valorisé l’indignation, il s’agissait d’une valeur aristocratique – « une vertu consistant à avoir honte des fautes commises par soi-même ou par autrui envers les exigences de son rang », explique le philosophe Pierre Zaoui (1). Dans le christianisme, la colère est l’un des sept péchés capitaux. Il s’agit là de visions essentiellement individualistes.
Qu’en est-il des colères collectives ? Nous entraînent-elles forcément du « côté obscur », comme le craignent Yoda et tous ceux qui, dans le courroux populaire actuel, voient déjà se profiler un beau score de l’extrême-droite à la présidentielle de 2027 ? Une chose est sûre : le soir du 20 mars, quand la motion de censure présentée pour dissoudre le gouvernement a échoué à neuf voix près, il faisait bon être dans la rue, avec d’autres gens en colère, plutôt que seul chez soi.
« La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance. »
Des milliers de Canadiens manifestaient contre la réponse à la COVID-19 et les mandats de vaccination dans un mouvement qui ne se produit qu’une fois par génération.
Pourtant, après trois semaines de manifestations contre les politiques destructrices du Premier ministre Justin Trudeau, le gouvernement canadien a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, jamais utilisée auparavant, qui lui a donné le pouvoir de geler les comptes bancaires des manifestants, de les arrêter et de disperser brutalement les manifestations dans la capitale. C’était un moment controversé, regardé par le monde entier.
Un an plus tard, la Commission sur l’état d’urgence, dirigée par le juge Paul Rouleau et chargée d’enquêter sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et sur d’autres questions connexes, a publié son rapport complet le 17 février. « Le rapport de 2 092 pages en cinq volumes déposé au Parlement vendredi », a rapporté la CBC, « est probablement le compte rendu le plus complet qui sera jamais produit sur les troubles de l’année dernière, et il fournit un verdict objectif qui fait autorité sur la décision historique de Justin Trudeau d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. “La décision d’invoquer la loi était appropriée,” écrit Rouleau. »
La lutte des travailleurs de la santé soulève directement la subordination des soins de santé au profit privé. La domination du système mondial de soins de santé par des monopoles hospitaliers géants, des sociétés pharmaceutiques, d’équipement médical et d’assurance rend impossible la fourniture de soins de santé de haute qualité à tous, indépendamment des revenus.