L’automne et ses pluies sont passés par là. Les tomates ne sont plus que des tiges dégarnies tentant de supporter quelques fruits rongés par le mildiou. Les aubergines commencent à tourner de l’œil. Les haricots fanent et paraissent fatigués, bien qu’ils profitent de quelques jours d’éclaircie pour brandir une dernière série de fleurs. Salades et choux sont en train de capituler face à une armée de limaces. Les courges, elles, qui ont encore leurs feuilles et quelques fruits imposants, donnent un air fouillis au potager tellement elles se sont émancipées de leur carré.
Le potager n’a plus la fière allure de la belle saison. Il donne encore. Les derniers haricots, les premiers poireaux… Mais à l’heure de faire quelques photos pour illustrer cette chronique, me voici bien embêtée, rien ne me paraît montrable. Un potager, c’est comme un bon plat. Pour éveiller l’appétit, mieux vaut que l’assiette soit agréable à l’œil, non ?
Plantes compagnes ou désherbage ?
C’est l’un des plaisirs du jardin, de soigner son esthétique. C’est aussi un langage, l’expression d’un rapport au vivant. Le jardin à la française, avec ses lignes droites, a célébré la domination de l’humain sur la nature. Le jardin à l’anglaise a plutôt voulu imiter celle-ci et a promu une vision plus romantique et pittoresque. Côté potager, certains trouveront que la beauté est du côté des allées bien droites et désherbées, d’autres préféreront laisser prospérer toutes sortes de plantes compagnes au risque qu’elles prennent le pas sur les légumes plantés.
Mon jardin se situe entre les deux. Du côté de l’esthétique jardinière, je suis victime de notre conditionnement sociétal. Je trouve mes pommiers plus beaux quand l’herbe dessous est bien tondue et que leurs formes se détachent nettement. J’ai peur pour mes aromatiques quand les herbes folles les encerclent. Je préfère mon potager quand il a les couleurs vives de l’été plutôt que l’air abandonné de la fin de l’automne.
Bref, j’aime que mon jardin ait l’air entretenu. Il y a des considérations pratiques : faciliter le passage du tracteur, favoriser une productivité raisonnable chez nos plantations nourricières. En revanche, je ne vois pas l’intérêt de couper l’enthousiasme de ma sauge épanouie bien au-delà des limites qui lui avaient été attribuées, et je ne suis pas contre un buisson de ronces ou un tas de cailloux par-ci par-là, me réjouissant de rencontrer leurs hôtes.
Déborder de vie en toute saison
Mais alors, comment juger de l’esthétique d’un jardin ? Comment ne pas rougir quand je montre mon potager brunissant avec l’automne ? Je me souviens soudain que le modèle du beau jardin est pour moi celui de ma grand-mère paternelle. Je précise qu’il n’est pas nourricier, sauf pour les nombreux fruits rouges que cette gourmande sait faire prospérer à merveille, et sa collection d’aromatiques rappelant ses origines provençales.
Il est beau, car il paraît en toute saison débordant de vie. Les plantes y sont très nombreuses et diversifiées, elles grignotent avec enthousiasme le passage dans les allées, il y a des fleurs en quasi toute saison. On pourrait croire que c’est le résultat d’une sorte de laisser-faire tellement toutes ces habitantes ont l’air épanouies.
En réalité, c’est le fruit d’un travail incessant et d’une curiosité insatiable. Cela commence par des lectures et des recherches lui permettant de dégoter les meilleurs pépiniéristes, produisant telle variété de ciste ou de figuier qui conviendrait au climat francilien. Il faut ensuite trouver l’exposition, le sol, les conditions d’humidité convenant à chaque nouvelle hébergée. Si l’une fait grise mine, elle est déplacée.
L’observation est continue. Les petits gestes d’attention presque quotidiens. Je la revois, tel un coiffeur ajustant sa coupe, sécateur à la main, repérer les branches malades, ajuster une taille. Je me souviens d’années de recherches et d’expérimentations continues pour soigner un fruitier malade. Chaque plante a une histoire, elle est leur mémoire. Et leur futur : il suffit que l’on mette un pied dehors pour qu’elle vous explique quel plan elle a en tête pour l’une ou l’autre.
Ainsi, si son jardin est si agréable, ce n’est pas parce qu’elle laisse faire, ce n’est pas parce qu’elle contraint. C’est parce qu’elle dialogue sans cesse avec ses habitantes, les écoute, les soigne et les laisse s’exprimer. Voici ce que m’a appris ma grand-mère : un beau jardin est le fruit d’une belle relation avec les plantes.
Marie Astier a un grand potager, chez elle, dans les Cévennes. Dans cette chronique, elle livre astuces et réflexions parce que jardiner... c’est politique.
La moitié de la récolte de patates a été croquée par les sangliers. La grosse laie ne passe pas notre filet de protection. Mais les marcassins, eux, ont réussi à le soulever pour se faufiler dans le potager.
Ils ont aussi rasé un jeune pêcher dont les branches étaient chargées, ratiboisé les petites salades, promené leur groin dans le sol frais au pied des tomates, des aubergines et des poivrons. Ils ont mis à sac les rangées d’arrosage et le paillage. C’est la troisième fois, depuis début juillet, que je vais devoir remettre de l’ordre derrière eux.
Déjà que j’ai du mal à trouver le temps de bichonner mes plantations, voici que les sauvages de la forêt d’en face ont décidé de venir chez moi m’ajouter du travail, voire en croquer le fruit. Ils ont trouvé chez nous un superbe garde-manger. Reviennent toutes les nuits, même en plein jour, n’ont peur de rien. La laie charge les chiens.
Un soir, mon compagnon les a poussés du terrain. Ils sont quand même revenus quelques heures après. Tous les matins, on a une mauvaise nouvelle dans le potager. Depuis sept ans, chaque année, c’est plus compliqué. Ils ont compris que la table était bonne, et sont devenus de fidèles clients. La colère monte.
Cohabiter avec le vivant est une belle théorie écologique, vu de ma vie d’avant, celle d’une journaliste francilienne. La mise en pratique est une autre affaire, quand vous entrez en subsistance, décidez de produire vous-même une partie de ce que vous mangez. Et encore, nous ne sommes pas agriculteurs, nos revenus ne dépendent pas de nos récoltes. Encore moins notre survie.
L’ange gardien de ma bonne conscience écologique se penche sur moi et me pousse à l’introspection. « Si la cohabitation se passe mal, c’est forcément de ta faute, humaine. As-tu bien protégé ton potager ? » me demande-t-il. « Si la clôture a cédé, c’est qu’elle était mal mise, voire mal choisie, non ? »
Il faudrait nous barricader. Est-ce souhaitable ?
C’est vrai, pour le petit pêcher, il y avait un filet mal remis. À 23 heures, après avoir récolté les patates qui restaient pour ne pas les perdre, on a eu la flemme. On l’a chèrement payé. Mais pour le reste… Mon compagnon a passé un printemps à refaire la clôture avec la voisine. Les sangliers viennent maintenant de la route, sur laquelle notre jardin est ouvert. Il faudrait finir de nous barricader. Je ne sais si c’est souhaitable, ni même faisable.
En attendant, nous avons un filet autour du potager, que l’on peut électrifier. Mais l’herbe pousse trop vite, le temps est humide, l’électricité s’échappe de partout. Cette année, le filet est inefficace. Cette année, mon compagnon en a marre et envisage d’appeler la société de chasse. Il veut mettre du sanglier au congélateur.
« Scandale ! », s’écrie mon ange gardien. « Rapport de force ! », je lui réponds. « Les sangliers ne sont pas une espèce en danger, et il faut qu’ils apprennent que venir chez nous est dangereux. » On se fâche. Angélisme et émerveillement ne peuvent pas être permanents, face à la nature.
Dans mon potager, mon jardin, la confrontation au vivant est permanente. La conscience de mon impact sur Terre est aiguë, concrète. Par mon action, je sais que, sans cesse, je dérange d’autres vivants — que j’en tue, même, au moindre désherbage. Chaque geste est pesé, balancé entre ses conséquences pour le vivant, nos besoins et nos moyens.
Par exemple, en ce moment, je m’émerveille devant notre prairie fleurie, qui est un bourdonnement permanent. Nous avons tout un tapis de mauves, pleines d’abeilles. Un bourdon va de trèfle en trèfle. Il y a aussi des crépides, aux petites fleurs jaunes qui ressemblent à des pissenlits miniature, ou des vergerettes, qui elles prennent l’allure de pâquerettes en bouquets. Face à cela, la réponse écologique évidente est de dire : « Ne touchez à rien ! »
« Je m’émerveille devant notre prairie fleurie »
Mais on ne circule plus, le chemin jusqu’au compost est devenu une traversée de la jungle. Ce foisonnement plaît aux sangliers et au renard qui voient là une protection pour se déplacer à couvert. Alors, on tond. Mais pas tout, on en laisse toujours pour les sauterelles et les pollinisateurs. C’est un compromis.
Pour assurer notre subsistance, nous prenons. Nous arrachons aux autres vivants un bout de terrain, où nous imposons notre volonté. Dans ma vie d’avant, cette violence-là était entièrement déléguée à d’autres. Aussi bien à l’usine textile chinoise ayant cousu mon tee-shirt qu’au producteur bio auquel j’achetais mes légumes. Désormais, j’ai repris en main une petite partie de cette subsistance.
Me voici à devoir en assumer les conséquences, et à tenter de limiter cette violence autant que possible. J’essaye de compenser, de donner en retour. L’alternance d’herbe rase, haute, de haies, d’arbres solitaires ou groupés, de ronciers, les quelques points d’eau… J’ose croire que cette diversité d’habitats favorise de nombreux autres vivants. Que grâce aux fruitiers plantés, aux fleurs en abondance, le couvert est servi à bien plus d’êtres que notre petite famille.
Sommaire :
01:35 Comment faire sa sélection pour créer un jardin de plantes médicinales ?
02:36 Une formation pour débuter sa pharmacie naturelle de plantes médicinales
03:40 La camomille romaine double
05:01 Le fenouil commun
06:55 La guimauve
07:50 L’hysope
09:20 La menthe poivrée
10:43 La mélisse citronnelle
11:57 Le romarin
13:53 La sauge officinale
15:25 Le souci ou calendula
17:11 Le thym commun
17:46 La verveine citronnelle