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Rivières polluées au glyphosate : les lessives seraient aussi responsables

ReporterreRivières polluées au glyphosate : les lessives seraient aussi responsables

Reporterre - 19 août 2024

Du glyphosate, un herbicide toxique, est présent dans les rivières européennes. En cause : l’agriculture... et nos lessives. C’est l’hypothèse, sérieuse, de chercheurs allemands.

   

La forte contamination en glyphosate des rivières européennes provient-elle, en partie, de nos lessives ? C’est l’hypothèse surprenante avancée par des chercheurs allemands de l’université de Tübingen, dans une étude publiée fin juillet par la revue Water Research. Ce sont plus précisément les aminophosphonates qui sont suspectés : cette substance, utilisée dans les détergents des lessives et produits de nettoyage, ainsi que dans certains traitements des eaux industrielles, pourrait se dégrader en glyphosate. Relâché avec les eaux usées de nos villes, celui-ci polluerait alors massivement nos cours d’eau.

Pour étayer leur hypothèse, les scientifiques avancent d’abord une série d’arguments qui prouvent, selon eux, que l’usage agricole du célèbre herbicide ne peut pas être la seule source de pollution de nos rivières. D’abord, parce qu’on mesure du glyphosate en concentration aussi forte dans les eaux européennes que dans les eaux étasuniennes. Alors même que les États-Unis en épandent beaucoup plus dans leurs champs : 138 kg/km² contre 26 kg/km² en Europe.
Les pics de pollution non corrélés aux périodes d’épandage

Autre anomalie : les pics de pollution ne correspondent pas en Europe aux moments où l’herbicide est utilisé. Normalement, les concentrations en glyphosate devraient augmenter aux saisons où il est utilisé dans les champs et après les fortes pluies qui entraînent son ruissellement dans les cours d’eau. C’est bien le cas aux États-Unis, mais pas en Europe, où les pics ne correspondent ni aux périodes pluvieuses ni aux périodes d’épandage du printemps et de la fin de l’été.

Pour mener cette comparaison, les chercheurs ont rassemblé un large jeu de données d’échantillons d’eau prélevée sur une centaine de sites au total, aux États-Unis et en Europe, entre 1997 et 2023. En plus des teneurs en glyphosate, ils se sont aussi intéressés à la présence d’autres molécules : plusieurs pesticides, comme le metazachlore, et des polluants issus des eaux usées urbaines, comme la carbamazépine, utilisé comme médicament.

Et là encore, leurs données semblent conforter leur hypothèse : les hausses de concentration de glyphosate ne surviennent pas en même temps que celles des autres pesticides. Ce qu’elles devraient faire si elles avaient une source commune. Elles suivent en revanche les mêmes évolutions que les concentrations de médicaments, suggérant une provenance identique : les eaux usées des villes. C’est également dans les échantillons prélevés juste à l’aval des rejets de stations d’épuration que les concentrations en glyphosate sont les plus fortes.
Le glyphosate : un dérivé de substances utilisées dans les détergents ?

Les chercheurs n’ont pas ciblé les eaux usées par hasard. On sait depuis déjà de nombreuses années que celles-ci rejettent massivement de l’acide aminométhylphosphonique (Ampa) — une molécule connue pour être un produit de dégradation (ou métabolite) du glyphosate. Les deux substances ont d’ailleurs été observées avec des comportements identiques par les scientifiques de l’université de Tübingen.

Mais pourquoi retrouve-t-on Ampa et glyphosate, normalement associés aux usages agricoles, dans les eaux des villes ? Le suspect était en réalité déjà identifié pour l’Ampa : on sait qu’il peut être un dérivé de ces fameux aminophosphonates, utilisés dans les détergents.

L’hypothèse des chercheurs va un cran plus loin : et si le glyphosate pouvait lui aussi être produit par ces aminophosphonates ? Ils en sont d’autant plus persuadés que les phosphonates susceptibles de générer du glyphosate sont présents dans les lessives européennes mais très peu dans les lessives étasuniennes, d’après les données — quoi qu’anciennes et parcellaires — qu’ils ont collectées. Ce qui expliquerait les anomalies observées entre les deux continents.

« Tous les résultats étranges de notre méta-analyse s’expliquent si l’on considère que le glyphosate se forme à partir d’aminophosphonates. Je ne vois pas d’autre source possible », dit Carolin Huhn, professeure à l’Institut de chimie physique et théorique et autrice principale de l’étude.

Plusieurs chercheurs sollicités par Reporterre et n’ayant pas pris part à cette étude confirment l’intérêt et le sérieux de sa méthodologie. « Ce n’est pas vraiment une méta-analyse contrairement à ce qui est affirmé, mais cela n’enlève rien à la qualité du travail, l’analyse des données me semble pertinente. L’hypothèse sur l’origine urbaine du glyphosate est posée mais sans apporter de réponse », note toutefois Julien Tournebize, chercheur à l’Inrae, qui dirige l’équipe Artemhys, spécialisée dans les pollutions diffuses d’origine agricole et dans la contamination des eaux notamment.

C’est en effet le point crucial qui reste à éclaircir : si l’étude allemande démontre que le glyphosate ne peut pas provenir uniquement de l’agriculture, et que les sources urbaines pourraient même être majoritaires, la transformation des détergents de lessives en glyphosate n’est, à ce stade, qu’une hypothèse. Une seule étude, datant de 1998, observait expérimentalement que l’aminophosphonate pouvait produire du glyphosate et de l’Ampa.

« Je travaille depuis 2022 avec mon équipe sur cette hypothèse. Nous avons conduit un travail intense de laboratoire sur la transformation des phosphonates. Nous sommes en ce moment même en train de finaliser des travaux pour publication, sur la formation de glyphosate à partir de DTPMP [un type de phosphonate présent dans les lessives européennes et quasiment absent des produits étasuniens], qui corroborent nos découvertes, dans nos expériences de laboratoire mais aussi dans les eaux usées », assure Carolin Huhn.
La piste des détergents doit être prise au sérieux

En attendant la publication de ces résultats, et celle d’autres travaux corroborant potentiellement l’analyse des chercheurs allemands, la prudence reste de mise tant les caractéristiques hydrologiques et de débits varient d’un cours d’eau à l’autre, rendant les comparaisons très complexes. « L’afflux de glyphosate agricole depuis le champ vers un cours d’eau peut varier énormément, de moins de 0,1 % lorsqu’il arrive par drainage, à 2 ou 4 % lors de ruissellements en grande culture, voire encore plus par infiltration dans les nappes. Utiliser un coefficient moyen est forcément imparfait », souligne par exemple Julien Tournebize.

Certaines données pour les États-Unis sont également trop peu nombreuses et diffèrent des européennes dans la manière de quantifier le glyphosate et l’Ampa, relève également Christelle Margoum, ingénieure de recherche en chimie environnementale à l’Inrae. « En me basant sur ces seules données disponibles, je serais donc potentiellement plus réservée que les auteurs sur l’interprétation des résultats et la comparaison entre USA et Union européenne pour ces deux substances », dit-elle.

D’autant que d’autres travaux entrent totalement en contradiction avec ces nouvelles observations. Une méta-analyse publiée en 2019 par des chercheurs français de l’Université Clermont Auvergne concluait : « Les variations saisonnières observées du glyphosate et de l’Ampa dans les eaux de surface françaises coïncident avec les observations faites dans les cours d’eau canadiens (Struger et al., 2015) : les concentrations augmentent du début du printemps à l’été et diminuent de la fin de l’automne à l’hiver, correspondant parfaitement aux calendriers d’application des pesticides pour les cultures. »
Des effets catastrophiques sur les sols et leurs habitants

La variété des arguments apportés par l’équipe allemande, validés par leurs pairs, plaide tout de même pour un approfondissement des recherches et la prise très au sérieux des effets potentiellement délétères de ces aminophosphonates omniprésents dans les détergents européens.

Tout en veillant à ce qu’un danger n’en efface pas un autre. « Dire que le glyphosate dans nos rivières ne proviendrait que des eaux urbaines et qu’il peut être utilisé sans problème dans les champs serait un raccourci terrible », avertit Céline Pelosi, directrice de recherche à l’Inrae, écologue et écotoxicologue des sols. Spécialiste des vers de terre, elle rappelle les effets catastrophiques pour les sols et leurs habitats de l’herbicide : « Même s’il n’allait pas dans l’eau, le glyphosate resterait un problème. » Dans les lessives ou dans les champs, l’urgence reste la même : réduire la pollution au glyphosate.

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