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Réparer son vélo électrique, une mission bientôt impossible

ReporterreRéparer son vélo électrique, une mission bientôt impossible

Reporterre - 26 juin 2024

En étant de plus en plus technologiques, les vélos électriques sont plus difficiles à réparer. Le secteur pourrait ainsi prendre le chemin de celui de l’auto, avec le passage indispensable chez le garagiste.

   

Réparer une chambre à air, changer ses freins, régler un dérailleur… Avec quelques tutos et un peu d’entraînement, tout cycliste est en mesure de réparer son vélo soi-même. Mais ces savoir-faire ne suffisent pas toujours quand on possède un vélo électrique. Les pannes sur ces engins, de plus en plus technologiques et complexes, nécessitent souvent de recourir à un professionnel.

Les réparateurs, eux-mêmes, sont confrontés à des obstacles. C’est ce que déplore Frédéric Hafner, réparateur de vélos indépendant à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence). Jusque-là, il avait toujours été, en tant qu’électromécanicien, capable de réparer le moteur des vélos électriques, mais il explique être « de plus en plus bloqué par le tout électronique ».

Applications obligatoires, géolocalisation et antivol intégrés, « boîte automatique » comme pour les voitures… « Pour certains modèles, le dérailleur n’existe plus, et le passage de vitesses est intégré dans le moteur lui-même et se fait par Bluetooth, explique en effet l’artisan. Or, ce n’est pas le petit réparateur du coin qui va pouvoir dépanner ce type de vélo. L’utilisateur doit alors se tourner vers un “concessionnaire” de la marque. »
Devenir « partenaire » de la marque

Les réparateurs sont également dans l’impossibilité de repérer d’où vient exactement la panne sans un outil de diagnostic. « Ça fait moins de cinq ans, je dirais, qu’on est entré dans l’ère du tout connecté sur les vélos électriques, constate Frédéric Hafner. Pour diagnostiquer la panne, il faut désormais utiliser un logiciel afin de connecter le vélo à un ordinateur. C’est le même principe que la “valise” [de diagnostic] pour les voitures [un outil permettant de localiser l’origine d’un problème]. Je perçois la volonté d’amener les cyclistes dans le même système que les automobilistes. » Chaque constructeur a en effet développé son propre outil de diagnostic, spécifique à ses équipements et indispensable au mécano.

Chez Bosch, le constructeur leader de moteurs et batteries de vélos en Europe, il faut par exemple devenir « partenaire » de la marque pour obtenir cet outil, s’inscrire sur son portail officiel et à son programme de formation annuel. Les revendeurs ont alors « la possibilité de commander les outils et les pièces d’origine appropriés, à partir de notre catalogue officiel de pièces détachées, explique à Reporterre le fabricant, afin d’assurer le bon fonctionnement et la plus grande sécurité possible du système et des différents composants Bosch ». Si l’outil de diagnostic est accessible gratuitement, la formation coûte 99 euros par jour et par personne.

Valeo, autre grand fabricant de moteurs de vélos à assistance électrique, reconnaît auprès de Reporterre que « les formations proposées par les motoristes leaders du marché restent payantes et ont lieu dans leurs propres locaux, représentant une immobilisation et une contrainte pour les bike shops [magasins de vélos] ». L’industriel souhaite mettre en place, pour ses propres moteurs, un réseau de « réparateurs agréés » qui formeraient les vendeurs et réparateurs « à titre gratuit » directement dans les magasins de vélos.
« Ne pas aller vers le modèle de la bagnole »

Plus le vélo s’électronise et se perfectionne, plus la question de sa réparabilité et de sa circularité se pose. « On identifie un phénomène qui intègre de plus en plus le vélo dans une sorte d’économie linéaire, dépendante de différents prestataires. Pourtant, s’il y a un objet qui à la base répond aux critères de l’économie circulaire, c’est bien le vélo ! » insiste Thibault Quéré, directeur de plaidoyer à la Fédération des usagers de la bicyclette (Fub). Il fait part de remontées d’ateliers d’autoréparation, également confrontés à des difficultés, voire à l’impossibilité de réparer les vélos électriques.

« Il y a aussi le risque de devoir changer régulièrement la batterie, prévient Thibault Quéré. Il faut veiller qu’on n’aille pas vers le modèle de la bagnole, avec des pièces détachées venant du monde entier et une technologie embarquée complexe qui nécessite l’intervention des constructeurs à intervalles réguliers. » Une maintenance qui pourrait devenir coûteuse pour le cycliste, quand le vélo classique, lui, « est capable de rouler pendant quinze, vingt, trente ans… moyennant un moindre coût d’entretien », rappelle le responsable de la FUB.

Pour favoriser le réemploi et la réparabilité, « les acteurs souhaitent que la filière travaille à l’écoconception des produits », écrivait le député Guillaume Gouffier Valente, dans un rapport de mission sur la filière économique du vélo en France, publié en janvier 2022. « Des réflexions pourraient également être lancées pour avoir des standards un peu plus uniformisés et conserver la réparabilité », ajoutait-il, évoquant le cas des batteries qui ne sont pas, pour l’heure, interchangeables entre les marques.
Un nouveau déchet électronique ?

Actuellement, les différents acteurs représentant le secteur du vélo travaillent à la mise en place d’un contrat de filière avec l’État. Dans le cadre des réunions préparatoires, la FUB a fait part de ses réserves quant à un modèle économique du tout industriel : « Notre vision du vélo est celle de la liberté et d’une certaine autonomie de l’usager, le vélo doit rester à la main de l’usager. Il faut s’assurer que la question de la réparabilité, et donc de la circularité, soit au centre de la filière économique. Or, on sent qu’il y a une tendance à vouloir l’insérer dans une sorte d’économie linéaire et industrielle. »

Dans son rapport, Guillaume Gouffier Valente estime qu’il est important de « reconnaître le vélo comme technologie évolutive » et qu’une politique de soutien à l’innovation doit être mise en place pour « nous permettre d’identifier les futures ruptures technologiques ». Autrement dit, les bécanes électriques ne vont cesser d’évoluer — robustesse des freins, durabilité des batteries, système antivol —, il est donc essentiel de poursuivre les recherches pour ne pas se retrouver devancé par la concurrence.

Une vision contre laquelle L’Heureux cyclage, association qui représente les ateliers d’autoréparation, met en garde : « Rappelons que derrière chaque rupture technologique […] se cache l’accélération de l’obsolescence des produits disponibles précédemment, écrivait-elle en réaction au rapport.

À vouloir en faire un objet tout électrifié et connecté, le vélo pourrait se transformer en un nouveau déchet d’équipement électrique et électronique (DEEE), « à l’opposé du spectre des valeurs environnementales », prévient-elle. Bien loin de la bicyclette qu’on bidouille dans son garage ou dans l’atelier du quartier.

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