L’Autre Monde est alors représenté comme un pays lointain et inaccessible au commun des mortels. Dans certaines traditions asiatiques, comme dans « Le Conte de la Princesse Kaguya », la lune joue ce rôle. Ce n’est pas le cas en Occident. Néanmoins, sur un plan archétypal, un voyage sur la lune est un exploit surnaturel de dimension mythologique. Cela fait des astronautes Apollo les égaux des anciens demi-dieux, et cette aura a illuminé les États-Unis dans leur ensemble. Telle était l’importance des alunissages : c’était le récit fondateur d’une nouvelle religion qui élevait les États-Unis au rang de nation messianique propulsant l’humanité vers l’avenir radieux technologique2. Le discours du président Nixon, diffusé tandis que le module d’Apollo 11 traçait sa route vers la lune, invitait l’humanité à communier dans ce nouveau culte universel :
« Apollo 11 est en route vers la lune. Elle transporte trois braves astronautes ; elle porte également les espoirs et les prières de centaines de millions de personnes ici sur terre, pour qui ce premier pas sur la lune sera un moment de drame transcendant. Jamais l’homme ne s’est embarqué dans une aventure aussi épique. […] Alors que les astronautes vont là où l’homme n’est jamais allé, alors qu’ils tentent ce que l’homme n’a jamais fait, nous sur terre voudrons, comme un seul peuple, être avec eux en esprit ; partager la gloire et l’émerveillement, et les soutenir avec des prières pour que tout aille bien. »3
Une fois que Neil Armstrong et Buzz Aldrin eurent posé le pied sur la lune, le même Nixon réalisa « the most historic telephone callever made from the White House », récupérant ainsi une partie de leur pouvoir surnaturel de communication avec l’Au-delà.4
Mais qui fait l’ange fait la bête, ou le démon. Comme le fait remarquer le très sceptique chercheur allemand Gerhard Wisnewski dans « One Small Step ? The Great Moon Hoax and the Race to Dominate Earth From Space », ce glorieux voyage lunaire mondialement télévisé qui auréolait les Américains d’une quasi divinité, détournait opportunément l’attention de l’enfer qu’ils imposaient à un peuple ici-bas. Apollo 11 atterrissait sur la lune deux mois après les bombardements illégaux au Cambodge ordonnés par Nixon. Et le programme Apollo cessa peu après que les dernières unités américaines aient quitté le Viêt Nam.
« Alors que les États-Unis d’Amérique assassinaient des milliers de Vietnamiens, brûlaient un hectare après l’autre de forêts vierges et empoisonnaient la terre avec des pesticides, ils essayaient en même temps de fasciner – ou plutôt d’hypnotiser – le monde avec une conquête d’un tout autre genre. »5
À vrai dire, en 1972, les gens s’étaient un peu lassés. Malgré l’arrivée de la télévision couleur, l’ajout de quelques gadgets distrayants comme le moon buggy, un suspens redoublé par la longueur des missions (72 heures sur la lune pour Apollo 17), et l’introduction de gags comme les sauts de Kangourou de Eugene Cernan6, l’enthousiasme du public n’y était plus.
Certains se grattaient même la tête: les astronautes n’avaient-ils rien de mieux à faire sur la lune que de planter le drapeau américain et ramasser des cailloux (380 kilos, toutes missions Apollo confondues) ? « Never come to the moon without a hammer », plaisanta Alan Bean d’Apollo 12 devant la caméra.