La parole de Julian Assange fut forte et précise lors de son audition par la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le 1er octobre à Strasbourg. Le journaliste australien est combatif, pleinement lucide, malgré les quatorze années de persécution et de privation de liberté qu’il vient de subir. Il n’est pas sorti indemne du martyre que lui a infligé Washington, mais il a tenu bon et semble sur la voie du rétablissement.
S’appuyant sur le très bon rapport de la représentante islandaise Thórhildur Sunna Ævarsdóttir (membre du Parti pirate), la commission avait émis un avis clair et pertinent sur le cas Assange, notamment quant à la nature politique de la persécution. Le texte accuse sans détour les États-Unis et le Royaume-Uni, demandant des actions, à la fois sur l’usage de l’Espionage Act et les pratiques en matière d’extradition.
Le 2 octobre, la résolution intitulée « La détention et la condamnation de Julian Assange et leurs effets dissuasifs sur les droits humains » a été débattue en séance plénière dans l’hémicycle et finalement adoptée par 88 voix pour, 13 contre et 20 abstentions (voir le détail du vote). C’est une avancée politique, diplomatique et symbolique importante. Le Conseil de l’Europe juge que Julian Assange était bel et bien un prisonnier politique au Royaume-Uni.
À noter que seuls trois des dix-huit représentants français ont participé au vote, ils ont tous voté en faveur de la résolution. Il s’agit des députés LFI Emmanuel Fernandes et Anne Stambach-Terrenoir, et du sénateur PS Didier Marie.
Le Royaume-Uni est membre du Conseil de l’Europe, qui est une institution réunissant 46 pays européens totalement distincte de l’Union européenne et donc non concernée par le Brexit. Les États-Unis y ont le statut de pays observateur. Il est peu probable que les deux États les plus impliqués dans la persécution de Julian Assange admettent sur le champ leur responsabilité et procèdent dans la foulée aux réformes recommandées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, mais le rapport et le vote constituent une étape majeure.
Le combat de Julian Assange et de ses soutiens est reconnu comme légitime et salutaire par une institution internationale. Cela vient s’ajouter aux avis qui avaient été émis par différentes composantes de l’Organisation des Nations unies (ONU). C’est un travail pour l’histoire. Mais au-delà de la nécessité de faire reconnaître la réalité de la persécution politique qui a eu lieu, il faut empêcher que cela puisse se reproduire, contre un autre journaliste, un lanceur d’alerte, etc. Il est à craindre que l’intimidation que Washington cherchait à exercer sur la presse et les sources par la traque du fondateur de WikiLeaks ait déjà produit ses effets, mais il n’est pas trop tard pour protéger le droit d’informer (et donc d’être informé).
Lors de son audition, Julian Assange a clairement dit qu’il voulait, à travers le retour sur son cas, protéger les autres journalistes. Il a d’ailleurs mentionné à plusieurs reprises Gaza et le sort des journalistes palestiniens. Depuis le 7 octobre 2023, 174 d’entre eux ont été tués par l’armée israélienne, souvent ciblés délibérément.
Nous avons collectivement obtenu la libération de Julian Assange, il nous faut maintenant nous appuyer sur cette grande et belle victoire pour défendre et promouvoir le type de journalisme pratiqué par WikiLeaks, et ainsi lutter plus efficacement contre les injustices qu’il permet de dévoiler.
« Je veux être tout à fait clair. Je ne suis pas libre aujourd’hui parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd’hui après des années d’incarcération parce que j’ai plaidé coupable d’avoir fait du journalisme. J’ai plaidé coupable d’avoir cherché à obtenir des informations auprès d’une source. J’ai plaidé coupable d’avoir obtenu des informations auprès d’une source. Et j’ai plaidé coupable d’avoir informé le public de la nature de ces informations. Je n’ai plaidé coupable d’aucun autre chef d’accusation. »
« La criminalisation des activités de collecte d’informations est une menace pour le journalisme d’investigation partout dans le monde. J’ai été formellement condamné par une puissance étrangère pour avoir demandé, reçu et publié des informations véridiques sur cette puissance alors que j’étais en Europe. »
« La question fondamentale est simple : les journalistes ne devraient pas être poursuivis pour avoir fait leur travail. Le journalisme n’est pas un crime ; c’est un des piliers d’une société libre et informée. »
« Dans mon travail, je me suis efforcé d’être rigoureusement exact. Je pense que l’exactitude est essentielle. Les sources primaires sont essentielles. Mais il y a un domaine dans lequel je suis un militant et où tous les journalistes doivent être des militants. Les journalistes doivent être des militants de la vérité. »
« Lorsque j’ai fondé WikiLeaks, j’étais animé par un rêve simple : éduquer les gens sur la façon dont le monde fonctionne afin que, par la compréhension, nous puissions faire advenir quelque chose de meilleur. »
« Je voudrais simplement remercier toutes les personnes qui se sont battues pour ma libération et qui ont compris, ce qui est important, que ma libération allait de pair avec leur propre libération. »