Entretien.
Les canalisations sont attaquées à la disqueuse, la CGT Énergie coupe le jus à des élus soutenant la réforme des retraites, des antennes 5G crament un peu partout, 200 activistes équipés de pinces-monseigneur font le ménage dans une cimenterie Lafarge et des mégabassines sont lacérées à coups de cutter. Autant d’actions constituant de bonnes raisons d’aborder l’histoire du sabotage avec Victor Cachard, auteur de plusieurs ouvrages récents sur le sujet. Un entretien mené en terrasse d’un café lyonnais au nom bien à propos : le Court-circuit.
CQFD : Dans les cortèges contre la réforme des retraites, la foule scande souvent le triptyque « Grève, blocage, sabotage ». Longtemps mise de côté, la pratique du sabotage comme outil de lutte retrouve-t-elle du souffle ?
Couverture du tome 1 du livre Histoire du sabotage
Victor Cachard, Histoire du sabotage : tome 1 « Des traîne-savate aux briseurs de machines, Éditions Libre, 2022 ; tome 2 « Neutraliser le système techno-industriel », même éditeur, à paraître.
Oui, et c’est tant mieux, mais le terme de sabotage fait encore peur. Il a pris une connotation guerrière avec la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la mémoire collective, il est associé au dynamitage des voies de chemin de fer, ou à l’idée d’attaque discrète, de coup dans le dos, un peu lâche…
Pourtant, le sabotage occupe une place importante dans l’histoire des luttes et il a été massivement utilisé par les travailleurs dès la fin du 19e siècle. On le sait peu, mais à la fin de son troisième congrès en 1897, la CGT l’a adopté officiellement comme tactique syndicale sous l’impulsion des anarchistes. Ce mode d’action, tout comme la grève générale, est aux fondements de la lutte syndicale !
Émile Pouget, révolutionnaire dont vous avez publié une anthologie [1], dit que le sabotage est vieux comme l’exploitation des travailleurs…
Il a été pratiqué bien avant d’être théorisé comme tactique de lutte. De tout temps, les exploités ont pu, de façon isolée, ralentir la cadence face à des exigences insupportables, ou produire volontairement et discrètement un mauvais travail. Contrairement à ce que l’on croit, le sabotage ne renvoie pas à la chaussure en bois (sabot) qui serait jetée dans la machine. C’est le nom donné au 13e siècle à une petite toupie en bois qui, quand elle tourne, donne l’impression d’être immobile. Comme le travailleur qui fait semblant de faire du bon ouvrage. « À mauvaise paie, mauvais travail », disaient les Anglais. Le sabotage est d’abord une attitude défensive, directement liée au travail. C’est finalement sous l’impulsion des syndicalistes révolutionnaires français que le terme gagne son caractère offensif.