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Les écolieux, mille et un bastions de la lutte contre l’extrême droite

ReporterreLes écolieux, mille et un bastions de la lutte contre l’extrême droite

Reporterre - 23 août 2024

Laboratoires d’un autre monde, les écolieux collectifs veulent répondre à la montée de l’extrême droite. Loin d’un repli sur soi, leurs habitants s’engagent dans leur territoire et font essaimer leurs expériences et leurs valeurs.

   

Sainte-Camelle (Ariège)

Une fois la bruine dissipée, ils sont arrivés au compte-gouttes. En van, à pied, en train… Près de 600 festivaliers ont peu à peu investi l’écovillage de Sainte-Camelle, dans l’Ariège, et ses vallons peuplés de moutons. Du 21 au 25 août s’y déroule le Festival Oasis, le grand rassemblement annuel des écolieux — ces espaces où l’on essaie d’inventer un monde alternatif.

Environ 1 400 de ces hameaux, villages, habitats partagés... rassemblant plus de 12 000 personnes sont répartis dans toute la France. Réunis au sein de la coopérative Oasis, qui organise le festival, l’écrasante majorité d’entre eux, 95 % selon la coopérative, ont investi des territoires ruraux. Soit des zones submergées par une vague brune lors des derniers rendez-vous électoraux.

Surpris par la déferlante du Rassemblement national, ces écolieux n’échappent pas à l’atmosphère politique. Alors pour cette édition, l’envie de politiser un peu plus le mouvement figure au menu. « Au-delà d’être le grand rassemblement annuel des écovillages français, ce festival a un petit goût d’université d’été, plus politisée, car évidemment, vivre en écolieu est éminemment politique », assure Nora Guelton, responsable de la communication de la coopérative. « 1 400 écolieux, c’est 1 400 singularités, mais aussi un ensemble prometteur qui incarne des utopies concrètes », s’amuse Patrick Viveret, philosophe, qui a participé à la table ronde inaugurale du 21 août consacrée aux effets des écolieux sur la société.

Nouvelle façon de vivre

C’est entendu, les Oasis inventent une nouvelle façon de vivre, plus écologique, plus joyeuse, un peu en marge mais pleine d’allant. Économie, inclusivité, mobilités, gouvernance, mutualisation... Ces sujets vibrent au cœur du quotidien de leurs habitants. Car ces lieux ont l’ambition de s’extraire des pouvoirs centralisés de la France jacobine tout en cherchant à créer des organisations humaines où le pouvoir est remis au pot, ou plus exactement mieux partagé. Ces archipels où l’on vit plus sobrement (voir encadré) incarnent à merveille ce « vivre-ensemble » que les partis politiques érigent en modèle sans réussir à rabibocher la société, sauf, peut-être, pendant les Jeux olympiques.

Loin d’être repliés sur eux-mêmes, en vase clos, dans le doux périmètre de leur domaine, les habitants de ces espaces s’engagent dans leur territoire, créent d’innombrables initiatives citoyennes qui tricotent le lien social (tiers-lieu, fêtes...). C’est le cas — entre autres — de l’oasis Du Coq à l’âme, un lieu gigantesque de 26 hectares en Charente, qui réunit vingt foyers (environ trente adultes et quinze enfants). Il a reçu un accueil plutôt favorable de la part des élus et de la population. Il faut dire qu’il se consacre à réinvestir 7 000 m2 de bâti et veut s’inscrire durablement dans la transformation de son territoire.

L’importance d’occuper l’espace politique

« Nous entrons dans bon nombre de dispositifs existants : fabrique des territoires, petites villes de demain, écoquartier, ferme pédagogique… Nous souhaitons faire de l’accueil, tenir un café associatif, monter un repair café, un fablab… » déroule Danièle Bacheré, l’instigatrice du Coq à l’âme. L’autre particularité de ce lieu est de s’être adossé à des chercheurs en sciences sociales, énergie, fertilité des sols, écoconstruction… et de devenir un laboratoire « pour de vrai ». « On intrigue, on intéresse et on nous demande d’apporter des forces vives, mais cela revient aussi, parfois, à devenir des prestataires au lieu de réfléchir avec les élus au devenir du territoire. »

Parler frontalement de politique s’apparente à une minirévolution pour ces lieux originellement tournés vers l’écologie, le bien-être ou le développement personnel. Pour Girl go green, aka Camille Chaudron, occuper l’espace politique est non négociable. Cette créatrice de contenus militante, forte de 128 000 abonnés, estime qu’il est temps de déplacer la fenêtre d’Overton du côté des alternatives comme les écolieux.

« C’est même de notre responsabilité, assure-t-elle, car en devenant plus inspirants, plus désirables, ces lieux attirent encore plus de monde. Les valeurs d’inclusivité, d’écologie y sont essentiels mais ils questionnent aussi notre rapport à l’argent, au temps ou au travail. » À la question : « Faut-il être désirable et instagrammable au risque de perdre sa radicalité ? » Elle répond mille fois oui car « à chaque fois que l’on touche des personnes non convaincues ou concernées, on attire encore plus de monde ».
Laboratoire d’un autre monde

Et puis, 1 400 lieux et 12 000 personnes, c’est loin d’être un raz de marée... « Au-delà de l’aspect concret de la vie en vert, ces espaces ont même une fonction cathartique et/ou soignante : ils prouvent qu’il reste de l’espace pour autre chose, de la couleur et de la beauté, du simple et du lent, du préservé », dit-elle à Reporterre. Les écolieux s’inscrivent peut-être moins dans les luttes et les résistances à des projets inutiles mais ils se positionnent aussi comme laboratoires d’un « autre monde possible ». Et pour certaines et certains comme bases arrière ou zones de repli.

« L’entrée en résistance » revient souvent dans la bouche des festivaliers. Et pour beaucoup, vivre dans ces « utopies concrètes » constitue déjà un acte de résistance. « Il y a de l’insoutenable, alors forcément, il y a de la résistance, balance Patrick Viveret en introduisant son trépied du REV taillé sur mesure pour les écolieux : « D’abord, R comme résistance créatrice, ces lieux inventent une façon d’être en résistance et pas forcément uniquement en révolte. E comme expérimentation anticipatrice, car on y essaie d’autres façons de faire qui aideront peut-être à mieux traverser les crises. Le V apporte la vision transformatrice tant utile à l’invention d’alternatives. » Et de pointer que l’émergence de noms tels que ceux de Lucie Castets, Huguette Bello ou Laurence Tubiana au sein du Nouveau Front populaire s’apparente déjà à une innovation démocratique : l’élection sans candidat, une forme prisée de désignation des personnes-ressources dans les oasis. « Ces femmes n’étaient candidates à rien mais leurs noms ont émergé. C’est nouveau et cela mérite d’être multiplié. »

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