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Sangliers, limaces… Au jardin, pas toujours facile de cohabiter avec le vivant

ReporterreSangliers, limaces... Au jardin, pas toujours facile de cohabiter avec le vivant

Reporterre - 22 août 2024

Jardiner n’est pas de tout repos, quand les récoltes sont mangées par des visiteurs du soir. Notre journaliste Marie Astier réfléchit à comment, au jardin, composer avec les autres habitants.

   

Marie Astier a un grand potager, chez elle, dans les Cévennes. Dans cette chronique, elle livre astuces et réflexions parce que jardiner... c’est politique.

La moitié de la récolte de patates a été croquée par les sangliers. La grosse laie ne passe pas notre filet de protection. Mais les marcassins, eux, ont réussi à le soulever pour se faufiler dans le potager.

Ils ont aussi rasé un jeune pêcher dont les branches étaient chargées, ratiboisé les petites salades, promené leur groin dans le sol frais au pied des tomates, des aubergines et des poivrons. Ils ont mis à sac les rangées d’arrosage et le paillage. C’est la troisième fois, depuis début juillet, que je vais devoir remettre de l’ordre derrière eux.

Déjà que j’ai du mal à trouver le temps de bichonner mes plantations, voici que les sauvages de la forêt d’en face ont décidé de venir chez moi m’ajouter du travail, voire en croquer le fruit. Ils ont trouvé chez nous un superbe garde-manger. Reviennent toutes les nuits, même en plein jour, n’ont peur de rien. La laie charge les chiens.

Un soir, mon compagnon les a poussés du terrain. Ils sont quand même revenus quelques heures après. Tous les matins, on a une mauvaise nouvelle dans le potager. Depuis sept ans, chaque année, c’est plus compliqué. Ils ont compris que la table était bonne, et sont devenus de fidèles clients. La colère monte.

Cohabiter avec le vivant est une belle théorie écologique, vu de ma vie d’avant, celle d’une journaliste francilienne. La mise en pratique est une autre affaire, quand vous entrez en subsistance, décidez de produire vous-même une partie de ce que vous mangez. Et encore, nous ne sommes pas agriculteurs, nos revenus ne dépendent pas de nos récoltes. Encore moins notre survie.

L’ange gardien de ma bonne conscience écologique se penche sur moi et me pousse à l’introspection. « Si la cohabitation se passe mal, c’est forcément de ta faute, humaine. As-tu bien protégé ton potager ? » me demande-t-il. « Si la clôture a cédé, c’est qu’elle était mal mise, voire mal choisie, non ? »
Il faudrait nous barricader. Est-ce souhaitable ?

C’est vrai, pour le petit pêcher, il y avait un filet mal remis. À 23 heures, après avoir récolté les patates qui restaient pour ne pas les perdre, on a eu la flemme. On l’a chèrement payé. Mais pour le reste… Mon compagnon a passé un printemps à refaire la clôture avec la voisine. Les sangliers viennent maintenant de la route, sur laquelle notre jardin est ouvert. Il faudrait finir de nous barricader. Je ne sais si c’est souhaitable, ni même faisable.

En attendant, nous avons un filet autour du potager, que l’on peut électrifier. Mais l’herbe pousse trop vite, le temps est humide, l’électricité s’échappe de partout. Cette année, le filet est inefficace. Cette année, mon compagnon en a marre et envisage d’appeler la société de chasse. Il veut mettre du sanglier au congélateur.

« Scandale ! », s’écrie mon ange gardien. « Rapport de force ! », je lui réponds. « Les sangliers ne sont pas une espèce en danger, et il faut qu’ils apprennent que venir chez nous est dangereux. » On se fâche. Angélisme et émerveillement ne peuvent pas être permanents, face à la nature.

Dans mon potager, mon jardin, la confrontation au vivant est permanente. La conscience de mon impact sur Terre est aiguë, concrète. Par mon action, je sais que, sans cesse, je dérange d’autres vivants — que j’en tue, même, au moindre désherbage. Chaque geste est pesé, balancé entre ses conséquences pour le vivant, nos besoins et nos moyens.

Par exemple, en ce moment, je m’émerveille devant notre prairie fleurie, qui est un bourdonnement permanent. Nous avons tout un tapis de mauves, pleines d’abeilles. Un bourdon va de trèfle en trèfle. Il y a aussi des crépides, aux petites fleurs jaunes qui ressemblent à des pissenlits miniature, ou des vergerettes, qui elles prennent l’allure de pâquerettes en bouquets. Face à cela, la réponse écologique évidente est de dire : « Ne touchez à rien ! »

« Je m’émerveille devant notre prairie fleurie »

Mais on ne circule plus, le chemin jusqu’au compost est devenu une traversée de la jungle. Ce foisonnement plaît aux sangliers et au renard qui voient là une protection pour se déplacer à couvert. Alors, on tond. Mais pas tout, on en laisse toujours pour les sauterelles et les pollinisateurs. C’est un compromis.

Pour assurer notre subsistance, nous prenons. Nous arrachons aux autres vivants un bout de terrain, où nous imposons notre volonté. Dans ma vie d’avant, cette violence-là était entièrement déléguée à d’autres. Aussi bien à l’usine textile chinoise ayant cousu mon tee-shirt qu’au producteur bio auquel j’achetais mes légumes. Désormais, j’ai repris en main une petite partie de cette subsistance.

Me voici à devoir en assumer les conséquences, et à tenter de limiter cette violence autant que possible. J’essaye de compenser, de donner en retour. L’alternance d’herbe rase, haute, de haies, d’arbres solitaires ou groupés, de ronciers, les quelques points d’eau… J’ose croire que cette diversité d’habitats favorise de nombreux autres vivants. Que grâce aux fruitiers plantés, aux fleurs en abondance, le couvert est servi à bien plus d’êtres que notre petite famille.

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